Benjamin Stora: « ceux qui présentent la guerre d'Algérie comme le premier conflit entre l'Islam et l'Occident, ne connaissent pas la réalité algérienne » - DIA
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Benjamin Stora: « ceux qui présentent la guerre d’Algérie comme le premier conflit entre l’Islam et l’Occident, ne connaissent pas la réalité algérienne »

DIA-11 mai 2017: L’historien Benjamin Stora a été récemment à Lisbonne sur invitation du Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra, pour tenir une conférence intitulée « La montée de l’extrême droite et les mémoires coloniales ». Dans une interview accordée à Expresso, il a  parlé de la guerre d’Algérie, du nationalisme français, de Macron et de Marine le Pen, du révisionnisme historique et de la crise morale en France… 

Présenter la guerre d’Algérie comme la première guerre entre l’Islam et l’occident aurait servi d’alibi à l’extrême droite pour renier De Gaules à travers le révisionnisme historique. A ce propos, l’historien natif de Constantine dira : « Il y a eu des gens en France qui présentaient la guerre d’Algérie comme le premier conflit entre l’Occident et l’Islam. Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas la réalité algérienne, encore moins, ceux qui étaient  les principaux leaders indépendantistes, qui, dans leur  écrasante majorité, n’étaient pas  religieux et n’étaient pas certainement fondamentalistes, dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce mot. Mais c’est plus qu’un simple anachronisme. C’est une façon de dire, ‘nous avions raison dans la guerre d’Algérie’,  le reste du monde ne nous a pas écoutés et a été contre nous ». Regardez, disent- ils, comment est le monde 60 ans plus tard … Ce fut le signe avant – coureur d’un choc des religions ». 

A propos du nationalisme français, construit, en grande partie au XIXe siècle, indique Stora, «  sur la base d’une république qui s’est efforcée d’apporter la lumière au monde. Alors, celui qui a résisté à cet effort  civilisationnel, était nécessairement un sauvage qui devrait être dominé ou annihilé. Dans quel sens parler d’une responsabilité morale si nous étions en train d’apporter le bonheur à d’autres peuples? Même contre leur gré ». 

Il a aussi dénoncé le révisionnisme historique en France, mis en garde contre la désintégration de la droite qui renie De Gaulle : «  Sarkozy, l’année dernière, a écrit un article disant qu’il était contre les accords d’Evian [l’indépendance de l’Algérie], puis contre le général De Gaulle ». Il souligne que même la gauche n’a jamais connu comment lever le drapeau de De Gaulle, toujours  vu comme un bonapartiste, un traditionaliste. L’historien affirme, par ailleurs, qu’abandonner l’héritage de De Gaulle c’est tendre la passerelle à l’extrême droite qui pourra dire, « vous voyez, nous avons toujours raison, historiquement parlant». Citant le livre publié maintenant en France par un idéologue de l’extrême droite, éditorialiste à BFMTV, Eric Brunet, « L’Obsession Gaulliste », (Albin Michel, 2016).  Ce dernier dit qu’il faut en finir avec le général De Gaulle. Stora estime que, «  lorsqu’on commence à dire ceci,  qui a raison  politiquement parlant? Marine Le Pen … »

S’il y avait en France des gens de la droite modérée qui peuvent contrer cela ?

Il y avait Alain Juppé, répondra Stora, mais il a été battu lors de la campagne pour les primaires de la droite. Ils l’ont présenté comme un musulman déguisé, jusqu’à l’appeler « Ali Juppé ». Et donc vient Fillon, et peu de temps après, le scandale des emplois publics de sa femme et de ses enfants. « Le grand problème politique français est cet effondrement politique et idéologique de la droite qui ouvre la porte à l’extrême droite pour arriver à l’électorat traditionaliste populaire, au patron de la taverne, au commerçant, aux religieux, même à ceux qui ont une culture française traditionnelle, gaulliste du reste. Tous ces gens se sentent trahis, non représentés et regardent vers l’extrême droite. De l’autre côté, il y a une gauche totalement divisée et qui a généré une situation complexe et sans précédent en France », explique Stora.

En ce qui concerne le processus de décolonisation, l’historien spécialiste du Maghreb, dira que,  pendant longtemps, dans la base idéologique de la droite gaulliste, était l’idée que la décolonisation avait été le bon choix et qui a commencé après 1945, « la France est arrivée avec un retard important. Et il y aura deux guerres mondiales, l’Indochine (première guerre du Vietnam) et celle d’Algérie. Parfois, nous oublions que la première était beaucoup plus violente, ayant  causé le double de morts parmi les français, environ 80.000. Ces guerres représentent un archaïsme français par rapport à la décolonisation. Et pourquoi? En raison de la vision que les Français et l’ensemble de la classe politique, mis à part l’extrême gauche qui était très minoritaire, avaient de cette question. Même la gauche n’a jamais compris le nationalisme. Engager une réaction contre la patrie des droits de l’homme a été considéré comme nécessairement réactionnaire. L’émergence de nouvelles nations est donc négative. Pendant longtemps, la gauche française a pensé que le nationalisme conduit inévitablement au fanatisme et à l’obscurantisme. La base du nationalisme dans les pays du Maghreb serait, de l’extérieur, forcement réactionnaire ».  

A propos de la crise morale en France, laquelle a boosté les candidatures de Macron et Marine Le Pen, l’historien citant le cas Fillon comme révélateur de la corruption de l’Etat, dira, « 

face à la corruption institutionnalisée, ce désarmement idéologique et historique qui paraît crédible? Marine Le Pen, bien sûr. Mais, il y a aussi Macron après tout. Il vient du monde des affaires, n’a jamais été élu à la fonction publique, et  est considéré comme inconscient des schémas de la corruption des politiciens. En plus, il a l’avantage d’être jeune, parce que dans tout cela il y a un côté de la révolte générationnelle. Les jeunes ont eu assez de ces personnes âgées de 60 ans ou plus qui sont considérées comme ‘la coutume’ ». 

Le fait que Macron soit issu du monde des affaires, ne veut pas dire selon Stora, lui barrer la route. Expliquant que, « c’est faux de dire comme mes amis de gauche ont dit au sujet d’Hillary Clinton, qu’ils ne voteraient pas pour elle car elle est liée à Wall Street. Et de poursuivre que, « Nous avons vu le résultat aux États – Unis. Dix millions de personnes qui avaient voté pour Obama n’ont pas voté  et Trump est venu. Le monde change très rapidement et les mauvais vents soufflent de la Hongrie, de l’Autriche ou des Etats – Unis. Entre la démocratie libérale et le fascisme, pour moi, le choix est évident ; par conséquent, méfiez- vous du piège de la pureté idéologique … ».

Citant les affaires Dreyfus et Michel Foucault, en exemple de l’intellectuel critique et politiquement engagé, le professeur des universités, affirme que les jeunes émigrent s’ils se laissent séduire par la violence ou par le fondamentalisme religieux à cause du désinvestissement des intellectuels dans l’action civique. « Comment pourrait-on   vouloir que les nouvelles générations trouvent des modèles de référence si, d’une part, dans la politique c’est la corruption et de l’autre, l’intelligentsia se réfugie dans l’académisme pour ne pas s’engager dans les affaires publiques? Qu’il s’agisse de l’histoire coloniale, de l’Islam en France ou de l’immigration, il y a un énorme désinvestissement, associé à une volonté de porter secours à un nationalisme français en difficulté croissante. 

Yasmine Yahia

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