L’histoire de la relation passionnelle entre Isabelle Adjani et l’Algérie
DIA- 14 août 2018: Depuis quelques jours les réseaux sociaux se sont rués sur la comédienne franco-algérienne Isabelle Adjani, qui est annoncée pour un tournage en Algérie.
Après avoir créé un précédent il y a huit ans en quittant le tournage d’un important film algérien en 2010, l’actrice franco-algérienne Isabelle Adjani va revenir tourner un film pour la deuxième fois en Algérie, le pays d’origine de son père, sous la direction d’une autre réalisatrice franco-algérienne Yamina Benguigui, avaient annoncé il y a deux semaines les médias français. Ce sera un film de femmes, uniquement avec des femmes. Il questionnera le rapport au pays d’origine et au pays d’accueil, l’enracinement, l’intégration », a indiqué la réalisatrice, ex adjointe à la mairie de Paris et surtout ex-ministre française de la Francophonie sous la présidence du président Hollande.
Le tournage de « Soeurs », qui doit débuter fin octobre pour 11 semaines, aura lieu entre Alger, Oran et Constantine, puis à Paris et dans le nord de la France, indique la presse française, qui précise que le long-métrage racontera comment trois soeurs – interprétées par Isabelle Adjani, Rachida Brakni et Maïwenn – « se déchirent lorsque l’une d’elles (jouée par la star) décide de raconter au théâtre la vie de leur père mourant ».
Isabelle Adjani, de père Kabyle et de mère allemande
Les trois comédiennes sont d’origine algérienne, mais c’est Isabelle Adjani qui a le lien le plus fort.
Née d’un père algérien, Mohammed Chérif Adjani (1923-1983), né à Constantine, engagé à l’âge de seize ans dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale, fils de Saïd Adjani, originaire d’Iferhounène, établi vers 1920 à Constantine et d’une mère allemande, d’origine bavaroise, Augusta Emma Schweinberger, dite Gusti, morte en février 2007. Dans une interview donnée en 1985, Isabelle Adjani explique pourquoi sa mère avait l’habitude de dire que son mari était d’origine turque : elle avait honte de ses origines algériennes. Elle lui demanda également de changer son prénom Mohammed en Chérif car cela faisait plus « américain ».
Cette éloignement de ses origines algériennes, Isabelle Adjani, va le cacher jusqu’à 1988, après les événements du 5 octobre, qui ont bouleversé le champ politique en Algérie. Ce jour-là, la comédienne révéla pour la première fois au public français sur un journal télévisé ses origines algériennes. Au cinéma, Isabelle Adjani n’avait jamais joué dans des rôles d’algérienne ou maghrébine. Elle effectue son premier voyage en Algérie en novembre 1988 pour soutenir la jeune démocratie née d’octobre 1988.
Maatoub et Octobre 88 réveillent son identité algérienne
On se souvient de sa première sortie médiatique le 2 novembre à l’Université de Bouzaréah à Alger, à l’invitation de la ligue des droits de l’homme d’Ali Yahia Abdenour. Elle monte à la tribune et déclare à l’époque qu’elle était « fière de participer à la naissance d’une démocratie ». Lors de son passage à Alger, elle a insisté pour voir Matoub Lounès alors hospitalisé à l’hôpital Maillot à la suite de la tentative d’assassinat dont il a été victime de la part d’un gendarme en 1988. Très rebelle comme lui elle refusa une protection de l’Etat algérien durant sa visite en Algérie. Cette position démocrate à l’époque très proche de celle du RCD et symbole du combat pour la démocratie n’était pas du goût des responsables politiques à Alger à l’époque. Isabelle Adjani qui s’est engagée dans un combat pour le soutien de la démocratie était opposée au pouvoir et favorable à une transition démocratique. Elle s’est notamment illustrée en manifestant son soutien à l’arrêt du processus électoral en Algérie pour stopper l’avancée des islamistes. Une position qui était très contestée à cette époque par le président français François Mitterrand, ce qui perturba durant une décennie les relations entre Alger et Paris.
Après cet épisode politique, Isabelle Adjani s’est plongée dans un silence médiatique concernant l’Algérie. Elle refusa toute évocation sur la situation en Algérie notamment durant la décennie noire et les massacres des populations. Aucune réaction « officielle » aussi après l’assassinat de Maatoub Lounas avec qui elle était très liée.
Isabelle refuse la récupération politique de l’Algérie
Isabelle Adjani qui n’avait pas de racines en Algérie a refusé d’accompagner les différents présidents français en déplacement en Algérie : Chirac en 2003, Sarkozy en 2007, Hollande en 2012 et Macron en 2018. Très rebelle elle refuse toute récupération politique.
Contrairement à la réalisatrice Yamina Benguigui, qui a su utiliser sa position d’artiste puis de politique avec les responsables algériens. Adjani qui passait par une période difficile, avait zappé toutes les initiatives de rapprochement entre elle et l’Algérie.
Elle avait refusé l’invitation du président Bouteflika pour faire partie d’une rencontre avec l’élite de la communauté algérienne vivant en France lors de sa visite en France en 2000.
Elle refusa également d’accompagner les dizaines d’artistes franco-algériens et français invités par la Présidence algérienne lors de l’opération cinéma de l’été organisée par l’opérateur Ait Adjadjou en 2001. L’objectif de cette opération c’était d’améliorer l’image de l’Algérie en France écorchée par les médias parisiens.
Ce jour-là, il y avait des artistes franco-algériens comme Yamina Benguigui, Samy Nacery, Said Amadis, Faudel ou encore les artistes français nés en Algérie durant la colonisation : à l’image de Roger Hanin, Alexandre Arcady, Robert Castel et Serge Benhamou. Ce jour-là tout le showbiz franco-algérien du cinéma était à Alger sauf Isabelle Adjani.
Elle refusa également de servir d’égérie pour le groupe Khalifa et refusa tous les ponts d’or que lui avait offerts Moumen Khalifa entre 2002 et 2003. Une opportunité qui avait été saisie en revanche par les deux stars françaises : Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. D’ailleurs, le président Bouteflika s’était interrogé sur l’absence de la star française d’origine algérienne au dîner offert par la Présidence à ses deux hôtes français après le match OM-Algérie. Moumen Khalifa avait expliqué à l’époque que la comédienne était malade qu’elle ne pouvait pas venir. Mais en réalité, Adjani était opposante à toute rencontre avec les officiels algériens.
Adjani et son parfum d’Alger
Même la très influente ministre de la Culture de l’époque Khalida Toumi n’avait pas réussi à la ramener, à l’occasion de la manifestation de l’Année de l’Algérie en France en 2003.
Il fallait attendre 2010, pour que la comédienne franco-algérienne accepte de jouer dans un film algérien « Parfums d’Alger ». La ministre a imposé Isabelle Adjani au réalisateur Rachid Benhadj, avec qui elle ne s’entendait pas. A l’époque deux personnes avaient réussi à la convaincre : Le producteur franco-tunisien Tarek Ben Ammar qui était producteur délégué du film et la productrice Yamina Benguigui, avec qui elle était en projet dans le téléfilm « Aîcha ».
Isabelle Adjani qui passait par une période financière difficile, avait accepté de revenir au cinéma avec ce rôle qui lui donnait la part belle dans son combat pour la victoire de la démocratie contre l’islamisme politique. Mais ses relations avec le réalisateur n’étaient pas bonnes. D’ailleurs, ce n’est qu’après avoir reçu la première tranche de son cachet en Euros que la comédienne s’est déplacée à Alger. Elle a exigé une loge individuelle sur les lieux de tournage, une chambre à l’hôtel El Djazair et surtout d’être tenue à l’écart de la presse et des feux des projecteurs. D’ailleurs des gardes du corps de la Présidence (DSSPP) étaient chargés de la protéger. Mais ses rapports avec le réalisateur se sont détériorées et c’est le directeur photo italien Vittorio Storaro qui lui servait d’interlocuteur. La comédienne avait demandé un autre réalisateur étranger, mais elle ne l’a pas obtenu. La comédienne avait profité d’un OFF pour se rendre à Paris et ne plus revenir.
Les autorités algériennes et à leur tête, à cette époque, la ministre de la Culture n’avaient pas apprécié cette « fugue ». La comédienne avait quitté précipitamment le plateau au bout de quelques jours à la suite de ce profond désaccord avec le cinéaste, emportant avec elle une bonne partie du cachet en euros. Le producteur de l’époque, l’AARC, avait refusé de poursuivre la comédienne en justice pour rupture de contrat et s’est tourné vers son producteur Tarek Ben Ammar. C’est lui notamment qui lui a fait quitter le sol algérien à travers son jet privé.
Cet épisode des relations entre la star et l’Algérie a fortement perturbé les communications entre les autorités algériennes et l’entourage direct de la comédienne à l’image de la réalisatrice Yamina Benguigui et fait perdre à la production algérienne beaucoup d’argent et déclenché un procès contre Tarek Ben Ammar. Le réalisateur Rachid Benhadj qui vit en Italie a fait appel à une grande comédienne italienne Monica Gurritore pour remplacer la présence d’Isabelle Adjani à l’écran, mais ce changement artistique n’a pas apporté ses fruits et le film est passé presque inaperçue.
Lors du Festival de Cannes de 2012, Yamina Benguigui, qui venait tout récemment d’être nommée ministre de la Francophonie, a rendu une visite non officielle au stand algérien pour rencontrer le patron de l’AARC de l’époque Mustapha Orif et lui révéla l’existence d’un nouveau projet de film mettant en vedette Isabelle Adjani. Ce dernier a expliqué à la ministre en poste que la comédienne a trahi la confiance des autorités algériennes et qu’il n’est plus question qu’elle tourne une nouvelle fois en Algérie. Arrivé à Alger Mustapha Orif a été sévèrement critiqué par la ministre de la Culture qui a appris l’existence de cette rencontre à travers un article de l’Expression.
Mais Yamina Benguigui ne perd pas espoir de convaincre à nouveau les autorités algériennes d’accepter le projet et de faire revenir Isabelle Adjani en Algérie. En 2012, elle accompagne l’équipe du film d’Alexandre Arcady, « Ce que le jour doit à la nuit » d’après le roman de Yasmina Khadra. La ministre de la Francophonie devait rencontrer le président mais la rencontre n’a pas eu lieu. Une folle rumeur tombe en plein projection du film, un blog annonce le décès du président de la République Bouteflika et précise que le Président devait rencontrer la Ministre Benguigui et que la rencontre n’a pas eu lieu. C’est la panique dans la salle El Mouggar où le film était projeté et plusieurs ministres ont dû quitter la salle faute de confirmation de l’information.
Mais finalement l’info était de l’intox et Yamina Benguigui reçoit un énorme bouquet de fleurs pour s’excuser de l’annulation de la rencontre.
Entre temps, Isabelle Adjani joue dans le troisième volet du téléfilm « Aicha » de Yamina Benguigui où elle donne la réplique à Biyouna dans une scène totalement « ubuesque » qui choqua l’opinion algérienne.
Entre temps, Benguigui en bonne lobbyiste, relance le projet de son film en Algérie profitant des bonnes relations qu’elle avait avec les responsables algériens. Véritable femme d’affaires, Benguigui ne souhaite pas seulement « retourner » en Algérie, mais obtenir le financement adéquat qu’elle ne pourra pas obtenir en France.
La productrice et réalisatrice de « Mémoire d’immigrés » a perdu de son influence depuis ses ennuis judiciaires. L’ancienne ministre de la francophonie a été en effet condamnée en 2017 à un an d’inéligibilité. Elle était poursuivie pour avoir fourni une déclaration de patrimoine incomplète à trois reprises entre 2012 et 2014.
En France, Benguigui n’est pas considérée comme une cinéaste, mais comme une téléaste qui fait des affaires avec l’immigration. Elle avait été lâchée par Canal+ au profit de France télévision, du temps de Patrick De Carolis, grand ami de l’Algérie. Grillée par les affaires et la justice, la productrice n’a pas la même cote en France.
Et c’est en Algérie qu’elle compte décrocher le gros lot. En 2014, elle rencontre la nouvelle ministre de la Culture, Nadia Labidi, qui lui suggère de déposer son scénario au Fdatic pour obtenir un financement.
Pour faire accepter son projet en Algérie, la réalisatrice aurait fait peser de tout son poids politique d’ancienne ministre française de la Francophonie…… elle a en tout cas obtenu gain de cause, puisqu’elle a obtenu un accord de coproduction avec le CADC.
Cette affaire a eu des conséquences dans le paysage cinématographique algérien, puisque le président de la Commission du Fdatic de l’époque Tahar Boukella, qui n’avait pas validé son projet, a démissionné de son poste. Il avait inscrit sept remarques dans sa fiche de synthèse. De plus l’apport de la coproduction française n’était pas inscrit.
Isabelle à Alger, 30 ans après avoir révélé son identité algérienne
La productrice et réalisatrice d’ «Inchallah Dimanche » a fait pression sur les responsables algériens pour faire accepter le scénario et obtenir le financement, alors que la production est essentiellement concentrée en France. Pour cela, elle se rapproche d’Ali Haddad et du FCE, faisant valoir son statut de femme d’affaires.
Même si Yamina Benguigui a réussi à passer le cap difficile du Fdatic et à obtenir le financement nécessaire pour faire son film, (On parle de 9 milliards de centimes) elle bute sur une opposition en Algérie.
La productrice franco-algérienne n’a pas réussi à s’approcher du ministre actuel de la Culture, Azzedine Mihoubi, qui se méfie des intentions de Benguigui ; celle-ci essaie d’imposer son projet à travers ses relais en haut lieu.
Mihoubi, dont le ministère traverse une crise financière, affirme qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses pour financer le film. Le CADC qui est co-producteur du film n’a pas de financement et a besoin d’une aide du ministère pour arriver à financer le film. Le premier tour de manivelle qui devait avoir lieu le 8 mars à l’occasion de la journée de la femme, a été finalement annulé pour le mois d’octobre prochain. Une date symbolique à laquelle personne n’a pensé puisque ça fera exactement 30 ans (1988-2018) qu’Isabelle Adjani aura révélé au monde entier ses origines algériennes. Son retour en Algérie à cette date-là est hautement symbolique.
Benguigui avait prévenu les producteurs algériens que la comédienne ne percevra pas de cachet dans cette production et que sa participation est symbolique, puisqu’elle a déjà pris un avenant important lors de la production de «Parfum d’Alger». C’est une histoire palpitante entre la star française et son pays d’origine, l’Algérie.
Salim Bey