De quel cinéma et indépendance parlez-vous aux RCB ?
« Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps. Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps. »
Abraham Lincoln
DIA-10 Septembre 2018: Mes proches m’ont demandé: mais pourquoi donc tu t’es lancé dans cette polémique ? Pourquoi tu t’attaques aux RCB ? J’ai répondu que cela fait longtemps que j’attendais le moment de sortir de ma longue réserve pour dénoncer au grand jour une imposture très connue mais jamais décriée sur la scène culturelle. Je n’ai été mandaté ni par le ministère de la Culture, ni par la commission de visionnage dont, je suis membre et dont ma démarche a surpris mes collègues et encore moins par les amis proches du mouvement cinéma ! C’est une initiative personnelle qui obéissait à mon sentiment d’injustice pour dénoncer une nouvelle forme de « colonisation culturelle ».
C’est aberrant de vous écouter sur la chaîne III, vanter votre action de plus ancien festival, de plus ancien ciné-club….mais qu’avez-vous fait pour le cinéma algérien, en 16 ans ? Rien ! Avez-vous lancé des cinéastes ? Avez-vous ouvert la porte de l’universalité à un cinéaste ?
Avez-vous lancé des films qui ont connu la notoriété ? Non. Comment prétendre organiser un Festival d’envergure où il n y a pas de compétition, pas de prix, par de stars nationales, pas de visibilité internationale. Un responsable marocain du Festival de Rabat qui a été invité à Bejaia a été surpris par la légèreté de la manifestation. « C’est un club med pour cinéphiles a-t-il répété ; pas de maturité cinématographique.
Les RCB (Qu’un ami surnomme le Rotary Club de Bejaia) a acquis cette mauvaise réputation de festival « Pro-français », en raison de la programmation francophile qui déteint graduellement sur la manifestation.
Sur leurs programmes, la nationalité du film n’est jamais inscrite. Cela pourrait être flagrant d’avoir 4 films algériens et 20 films français sur le catalogue.
Le cinéma algérien n’existe pas aux RCB, où du moins le cinéma algéro-algérien, car le cinéma franco-algérien a trouvé une place au chaud au sein de cette manifestation. Enfin un certain cinéma franco-algérien, car les Bouchareb, les Bensalah, ou encore les Mehdi Charef ne correspondent pas à leur vision cinématographique.
Comment prétendre organiser la plus importante manifestation cinématographique du pays et n’inviter aucune star nationale ? On n’a jamais vu à la place Gueydon, un Souileh, une Biyouna ou une Chafia Boudraa et encore moins un Sid Ahmed Aggoumi ou un Mustapha Ayad. Pas non plus de Lakhdar Hamina, Rachedi ou encore moins un Zemmouri Allah Yarahmou. Seuls les révoltés Allouache et Beloufa ont échappé à votre amnésie cinématographique.
Vous préférez, les cinéastes de « là-bas chez nous », avec leur vision déconnectée de la réalité algérienne, les Teguia, les Zaimèche ou encore les Malek Bensmail. Des champions de « l’algerian bashing » pour noircir le mur blanc de l’Algérie.
Vous n’avez jamais rendu hommage à un cinéaste algérien disparu et encore moins organisé une spéciale pour un cinéaste algérien consacré.
Votre jeunesse ne vous donne pas le droit d’exclure les anciens. Les RCB ne connaissent pas l’histoire de leur pays. Les films sur la révolution algérienne sont totalement bannis de leur menu cinématographie ; c’est comme si que Bejaia n’a jamais enfanté des révolutionnaires. Enfin et c’est là où le bât blesse, l’identité amazighe est presque effacée de votre programme. Vous n’avez jamais rendu hommage à Bouguermouh, l’enfant de Bejaia et encore moins Azzedine Meddour. Je n’ai pas souvenir que vous ayez pensé à présenter les docs sur Hnifa ou Slimane Azem et encore moins les films sur Hasnaoui ou Cherif Kheddam. Pour une manifestation culturelle bougiote, le cinéma d’expression kabyle est quasiment absent. Vous glissez parfois deux ou trois films pour donner cette fausse appartenance à une amazighité séculaire. Vous êtes arrivés à éliminer les cinéastes originaires de Bejaia comme ce fut le cas de Sofia Djama, qui a vu son court métrage « Mollement un samedi matin », injustement refusé aux RCB. Elle, fille de Bejaia et habituée de la place Gueydon.
Quand je lui ai proposé de passer aux JCA en 2012, elle était étonnée, car elle savait que je n’appréciais pas le film et que je n’étais pas d’accord avec sa démarche filmique, mais contrairement aux gens des RCB je savais faire la différence entre les œuvres professionnelles et les choix personnels. Pire, le film de Djama a remporté le prix du meilleur court métrage algérien au JCA.
Même sort réservé par les RCB, au film documentaire de Mohamed Zaoui « Retour à Montluc », qui a été refusé par le comité de sélection des RCB et qui a été consacré aux JCA et a volé de ses propres ailes dans d’autres festivals en Egypte et à Oman, grâce à son passage à Alger. En coupant l’élan de ses jeunes cinéastes vous avez renforcé le sentiment de discrimination envers le cinéma algérien.
Vous dénoncez la censure d’un film, mais vous la pratiquez en masse annuellement.
C’est là, le problème des RCB : la sélection et les programmateurs, car Abdenour Houchiche, le président de Project’heurts qui n’est pas un cinéphile averti et encore moins critique de cinéma expérimenté, n’a pas cette faculté intellectuelle de choisir des films de qualité. Il a confié cette rude tâche à des individus imbus de leurs personnes et qui ont plus de comptes à régler avec leur pays que d’encourager un cinéma nouveau et révolté. C’est le cas de Samir Ardjoum, qui a des préjugés dévastateurs sur la palme d’or à Cannes et sur la démarche filmique de Rachid Bouchareb. Pour lui le cinéma de révolution n’a pas sa place aux RCB et encore moins le cinéma financé par l’Etat. Du coup les RCB se retrouvaient avec des petits films d’école ou des films expérimentaux qui ont une valeur artistique limitée.
Samir Ardjoum a transformé les RCB en terrain d’expérimentation filmique où les cahiers du cinéma feront bonne école. Un cinéma élitiste, non commercial, qui s’exprime en noir et blanc pour une pensée en couleur.
Du coup les RCB avaient perdu la direction cinématographique du festival et elles sont tombées dans la défragmentation sociale. Je ne peux pas m’exprimer sur Laila Aoudj que je ne connais pas. D’ailleurs c’était étonnant de ne pas la connaitre, une directrice artistique inconnue dans le giron cinématographique. Elle doit traîner ses pas dans les salles, les avant-Première et encore plus, dans les festivals du pays pour prospecter, établir des contacts. On a l’impression qu’elle est « la courgette sur le Couscous » et que Samir Ardjoum veille toujours sur sa «liste sélect» et sa «black list». Les réflexes n’ont pas changé et les RCB sont tombées dans le piège de la ghettoïsation ; pas de la Kabylie, mais de la vielle colonie.
En 16 ans d’existence, les RCB ne nous ont rien rapporté si ce n’est des affiches rafistolées qui offrent une image vieillotte d’un pays toujours « sous dev » qui recherche constamment son cinéma.
Salim AGGAR