Le gouvernement tunisien cède à la contestation de la rue
Le gouvernement tunisien envisage d’adopter une batterie de mesures sociales après une semaine de contestation contre l’austérité émaillée de heurts, espérant ainsi calmer la colère d’une partie de la population sept ans après la révolution.
« Nous travaillons à un socle de protection sociale, un revenu minimum, une couverture maladie universelle et un plan logement », a indiqué une source gouvernementale sous couvert de l’anonymat, sans plus de précision.
« C’est un projet de loi très avancé, qui a été soumis au Parlement et sera discuté d’ici une semaine », a ajouté cette source, assurant que le gouvernement y travaillait dès avant la contestations. « Nous pouvons le financer », a-t-elle assuré sans préciser si ces mesures avaient déjà été budgétées.
Des manifestations pacifiques et des émeutes nocturnes ont eu lieu la semaine passée dans plusieurs villes de Tunisie, une contestation alimentée par un chômage persistant — 15% officiellement– malgré la croissance, et par des hausses d’impôts grignotant un pouvoir d’achat déjà éprouvé par une importante inflation (plus de 6% fin 2017).
Le président tunisien Béji Caïd Essebsi a rencontré samedi les responsables des partis au pouvoir, de la puissante centrale syndicale UGTT et du patronat pour discuter des moyens de sortir de la crise.
« Le climat social et le climat politique ne sont pas bons en Tunisie », a reconnu le chef de l’Etat, tout en assurant que « la situation reste positive ».
« Nous sommes capable de maîtriser les problèmes », a-t-il insisté. Il a prévu de se rendre dimanche matin dans un quartier déshérité de Tunis, où des heurts ont eu lieu cette semaine.
– Presse étrangère critiquée –
M. Essebsi a par ailleurs accusé la presse étrangère d’avoir « amplifié » les faits dans sa couverture des derniers évènements, contrairement à la presse tunisienne. Plusieurs membres du gouvernement et la majorité de la presse tunisienne ont estimé cette semaine qu’il n’y avait pas de contestation politique mais des « casseurs » et « pilleurs ».
Vendredi, l’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières a condamné des pressions sur les journalistes après l’interpellation d’un correspondant français et d’un reporter tunisien qui couvraient les rassemblements.
Les heurts nocturnes avaient éclaté lundi soir opposant jeunes jetant des pierres et des cocktails molotov à des policiers faisant usage de gaz lacrymogènes dans plusieurs villes de Tunisie. Ils se sont reproduits jusqu’à jeudi soir. Des bâtiments publics ont été attaqués et des magasins pillés. Un homme est mort dans des circonstances peu claires durant une manifestation dans la ville de Tebourba, à 30 km à l’ouest de Tunis.
– Carton jaune –
Vendredi, quelques centaines de manifestants ont protesté dans le calme à Tunis et à Sfax (centre), lançant un « carton jaune » au gouvernement sur l’austérité à l’appel du mouvement « Fech Nestannew » (« Qu’est-ce qu’on attend »). Ce mouvement de la société civile a lancé en début d’année la contestation contre le budget 2018 voté en décembre, la hausse des prix et la corruption. Il réclame davantage de justice sociale.
Le calme est revenu globalement dans le pays depuis jeudi soir à l’exception de protestations mineures comme à Sidi Bouzid (centre), point de départ de la révolution de 2011, où de petits groupes de jeunes ont été rapidement dispersés à coups de gaz lacrymogènes dans la nuit de vendredi à samedi.
Au total 803 personnes ont été arrêtées, a indiqué samedi à l’AFP le porte-parole du ministère de l’Intérieur Khlifa Chibani.
Plusieurs manifestations sont prévues dans la matinée dimanche pour marquer le septième anniversaire de la chute du dictateur Zine el Abidine Ben Ali, chassé par un mouvement de protestation contre le chômage, la vie chère et la corruption.
Le soulèvement avait été déclenché par l’immolation par le feu le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, une ville dans l’arrière pays déshérité, d’un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi.
Nombre de Tunisiens estiment avoir gagné en liberté mais perdu en niveau de vie depuis la chute de Ben Ali.
Adopté à une large majorité en décembre, le budget 2018 augmente notamment la TVA, les impôts sur la téléphonie ou l’immobilier et certains droits d’importation.
La Tunisie, en difficulté financière après plusieurs années de marasme économique, notamment dû à la chute du tourisme après une série d’attentats en 2015, a obtenu un prêt de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans du Fonds monétaire international (FMI). En échange, elle s’est engagée à une réduction de son déficit public et à des réformes économiques.
AFP