Lafarge qui se dit prêt à construire le mur de Trump avec le Mexique
DIA-10 mars 2017: Le PDG de Lafarge, leader mondial des matériaux de construction, a annoncé jeudi qu’il pourrait contribuer à l’édification du mur voulu par Donald Trump à la frontière mexicaine. Une déclaration qui a fait scandale et qui a poussé le président français François Hollande à réagir et à appeler le groupe à la prudence.
Le groupe franco-suisse LafargeHolcim (Qui est également fortement présent en Algérie) se dit en effet prêt à vendre son ciment pour le mur anti-clandestins promis par Donald Trump, assure Eric Olsen son PDG dans un entretien à l’AFP. Ce projet à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, évalué à plusieurs dizaines de milliards de dollars, est au centre d’une crise diplomatique entre Mexico et Washington et suscite des critiques à travers le monde.
Affirmant que son groupe cherche avant tout à « soutenir la construction et le développement du pays », le PDG s’est ainsi dit prêt, dans un entretien diffusé par l’AFP jeudi 9 mars, « à fournir (ses) matériaux de construction pour tous types de projets d’infrastructures aux États-Unis ». Il a écarté d’un geste toute question de morale en affirmant : « Nous ne sommes pas une organisation politique ».
A l’instar de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, François Hollande a appelé, jeudi soir, le cimentier à la responsabilité. « Je pense qu’il y a des marchés sur lesquels il faut être prudent avant de déclarer sa candidature », a estimé le chef de l’État lors d’une conférence de presse à l’occasion du Conseil européen à Bruxelles.
L’injonction risque d’avoir peu d’effet sur Eric Olsen, dont le cynisme mesuré vise notamment à se positionner sur la grille de départ de la course aux 1 000 milliards d’investissements prévus par le nouveau président des États-Unis en matière d’infrastructure. Mais cette dimension stratégique n’enlève rien à l’écho des propos du PDG de Lafarge dans les recoins les plus douteux de l’histoire de la firme.
Participation à l’édification du « mur de l’Atlantique » pendant la Seconde Guerre mondiale
Au printemps 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, le régime nazi décide de se retrancher sur le front ouest, derrière le « mur de l’Atlantique », qui prévoit 15 000 bunkers le long des côtes, des Pays-Bas aux Pyrénées françaises. Des entreprises tricolores furent largement mises à contribution afin de tenir les délais : selon le magazine Géo, « 80 % du ciment français furent ainsi engloutis à l’époque par la construction du versant français du mur de l’Atlantique », ce qui fit bondir le marché du BTP de 16 millions de francs, en 1941, à 671 millions, en 1943.
Jérôme Prieur, auteur de « Le Mur de l’Atlantique – Monument de la collaboration » (Denoël, 2010), raconte à France 24 : « Ce chantier, c’était une chance, une opportunité économique pour les entreprises françaises, de continuer à travailler malgré l’Occupation. Lafarge, de ce point de vue, est un cas parmi d’autres, souligne-t-il. Deux de ses usines ont fourni du ciment au régime nazi : une en zone occupée, près d’Angoulême. L’autre en zone libre, en Ardèche. Paradoxalement, c’est celle qui était en zone libre (avant l’invasion de celle-ci en novembre 1942 par les Allemands) qui montrait le plus de zèle pour l’effort de guerre allemand. »
La fusion avec le Suisse Holcim au passé sulfureux
La fusion avec le groupe suisse Holcim n’a pas permis à Lafarge de se racheter une conduite : le cimentier suisse traînait avec lui un passé tout aussi, voire plus sulfureux, que celui de Lafarge. Il a, parmi les dernières affaires le concernant, été condamné à payer 280 000 dollars par l’Australie, après avoir partiellement endommagé des éléments du patrimoine aborigène. Il avait été auparavant plusieurs fois condamné aux États-Unis pour cause d’émissions de polluants largement supérieures aux limites légales, selon l’ONG CorpWatch. L’agence américaine pour l’environnement (EPA) avait également condamné le groupe à 700 000 dollars d’amende, ainsi qu’à des investissements environnementaux d’environ 20 millions pour avoir utilisé des pneus comme combustibles, et avoir ainsi largement excédé les limites d’émissions de dioxyde de soufre autorisées.
Un financement présumé du terrorisme en Syrie
En juin 2016, le Monde révèle que Lafarge a noué des liens douteux avec le groupe État islamique (EI), afin de pouvoir faire tourner le plus longtemps possible son usine de Jalabiya, en Syrie. Selon le quotidien, Lafarge aurait missionné un intermédiaire pour obtenir de l’EI des laissez-passer pour ses employés aux checkpoints. Toujours selon le journal du soir, des documents estampillés du tampon de l’EI permettaient aux camions de circuler pour approvisionner le site, laissant supposer le paiement de taxes. Des pratiques qui pourraient être assimilées à un financement du groupe terroriste.
E-mails à l’appui, le Monde affirme que le siège de Lafarge à Paris était au courant de ces pratiques. Une semaine après la publication de l’enquête, l’ancien PDG de LafargeHolcim et désormais co-président du conseil d’administration, Bruno Lafont, assurait pourtant sur France 24 : « La nature des allégations faites dans le journal ne sont pas ce que nous sommes. Nous avons déclenché une analyse très précise et très rigoureuse des faits. » Une porte-parole du groupe LafargeHolcim a par ailleurs ensuite mis en avant « la priorité absolue de Lafarge qui a toujours été d’assurer la sécurité et la sûreté de son personnel ».
Le ministère de l’Economie a tout de même déposé plainte auprès du parquet de Paris, cet automne, mettant en avant le non-respect des interdictions européennes de travailler avec les groupes terroristes en Syrie.