Mort d’Alain Delon, le dernier monstre sacré du cinéma français
DIA-18 août 2024: Alain Delon est mort tellement de fois à l’écran que cela a dû lui paraître une dernière prise. Dieu, qui est un mauvais scénariste, a dit: « Coupez ! » Delon ne s’est pas relevé. Il ne tiendra plus la barre du ketch de Plein soleil. Il ne noiera plus Maurice Ronet dans La Piscine. Il ne s’effondrera plus sous les yeux de Cathy Rosier dans une boîte de nuit tenue par Jean-Pierre Melville. Il est aujourd’hui libéré de la guerre que se menaient ses enfants, Anthony, Alain-Fabien et Anouchka, déballant leur querelle dans un dramatique mélo médiatico-judiciaire, indigne de la star qu’était leur père.
« L’acteur de « Plein soleil », de « La piscine » et du « Samourai » est décédé vers 03H00, a précisé son fils Anthony à l’AFP. Il souffrait d’un lymphome. Rarissime au cinéma depuis la fin des années 90, l’acteur avait fait les gros titres à l’été 2023 quand ses trois enfants avaient porté plainte contre sa dame de compagnie parfois décrite comme sa compagne, suspectant un abus de faiblesse. Avant de se livrer bataille par médias et justice interposés quant à la santé de l’acteur, très affaibli depuis un AVC en 2019.
Quelques jours avant, en mai 2019, il était revenu goûter aux lumières du tapis rouge cannois pour recevoir une Palme d’or d’honneur, entre larmes et discours aux accents testamentaires: « C’est un peu un hommage posthume, mais de mon vivant », avait déclaré l’acteur. « Je vais partir, mais je ne partirai pas sans vous remercier », avait ajouté celui qui a vécu ses dernières années dans sa propriété de Douchy (Loiret), ceinte de hauts murs et dans laquelle il prévoyait de longue date de se faire enterrer, non loin de ses chiens. « Un lion en majesté, un acteur au regard d’acier (…) il aura tout conçu avec et tout contrôlé sauf sa fin », a réagi auprès de l’AFP l’ancien président du Festival de Cannes Gilles Jacob.
Acteur instinctif
« La France a perdu sa star », a confié la chanteuse et comédienne Amanda Lear à l’AFP. « C’est un type qui croyait vraiment à son cinéma », a affirmé le photographe Jean-Marie Périer sur franceinfo. « Il a passé sa vie à prouver qu’il était autre chose que beau et a pris beaucoup de risques ». Loin des acteurs cérébraux, Delon était un instinctif de génie. Il s’enorgueillissait de n’avoir jamais travaillé sa technique et s’appuyait sur son charisme, mélange unique de beauté incandescente et de froideur cassante.
Le dernier géant
Qui, qui d’autre, peut aligner dans son curriculum vitae Clément, Antonioni, Visconti, Losey, Melville ? Il a été Swann, Zorro et Chaban-Delmas. Il a planté un piolet dans la nuque de Trostski et conquis Sydne Rome. Il a joué Simenon, travaillé pour Godard sur le tard, lui qu’avait boudé la nouvelle vague. Tout au long de sa carrière, on le compara à son alter ego Jean-Paul Belmondo. Les deux s’affrontèrent dans Borsalino (1970), se retrouvèrent dans Une chance sur deux (1998). Ils avaient porté le cinéma français sur les épaules. Cette tâche avait fini par les lasser. Delon tint la dragée haute à Gabin et Ventura, deux colosses. Son admiration était destinée à John Garfield.
Au bout d’un moment, il se sentit un peu seul. Les flics et les voyous perdaient de leur attrait. Les gens qu’il respectait disparaissaient un par un. À l’instar d’un Clint Eastwood, il passa à la réalisation. Il ne s’épargnait pas, ne détestait pas se faire démolir en gros plan. Ce solitaire cultivait l’amitié. D’un autre côté, ses brouilles n’étaient pas feintes. Sur un plateau, ses colères résonnaient comme le tonnerre dans une cathédrale. Dans une pièce, il entrait en foule. La présence qu’il avait. Un tel phénomène ne se reproduira plus.