Mourad Preure à DIA : "L'Algérie a les moyens de surmonter la crise énergétique" - DIA
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Mourad Preure à DIA : « L’Algérie a les moyens de surmonter la crise énergétique »

DIA-21 avril 2016: Mourad Preure, ancien cadre de la Sonatrach est un expert international dans le domaine des hydrocarbures. Il nous livre son expertise suite à l’échec de la réunion des pays producteurs de pétrole à Doha.

Entretien réalisé par Salim Aggar

DIA-Preure

DIA: Quelle est votre analyse de ce qui s’est passé à la réunion de Doha des pays producteurs de pétrole? 

Mourad Preure: Cette réunion était importante car elle survient après une longue période de baisse des prix suite à la surproduction causée par les huiles de schistes américains et amplifiée par l’aventure dans laquelle l’Arabie Saoudite a entraîné l’OPEC en choisissant de défendre ses parts de marché et laisser les prix se former selon le libre jeu des lois du marché. Dans un contexte de ralentissement de la demande, particulièrement asiatique qui tirait la demande mondiale, cette politique était et reste suicidaire. L’excédent de production sur le marché par rapport à l’offre est de 1.5 Mbj alors que la demande, après avoir cru de 1.8 Mbj en 2015, marque une pause en 2016 avec une croissance attendue de 1.2 Mbj. Je l’avais déjà dit, cette guerre des prix provoquée par l’Arabie Saoudite finira en queue de poisson comme toutes celles déjà initiées par l’OPEC sous l’instigation de ce pays. Et plus encore aujourd’hui où l’OPEC a face à elle une offre concurrente, les huiles de schistes américains, flexible et qui se replie lorsque les prix baissent et réapparaît lorsque les prix remontent, rendant impossible une cartellisation du marché par l’OPEC. D’autre part, l’industrie pétrolière est en grande souffrance, les compagnies internationales qui ralentissent leurs investissements et, pour les plus fragiles, sont menacées de faillite, que pour les pays producteurs comme l’Arabie Saoudite au premier chef dont le déficit budgétaire atteint 90 milliards de dollars et qui n’arrive plus à maintenir son train de vie. Elle en est arrivée à décider d’ouvrir le capital de sa compagnie nationale, l’Aramco. Cela, sans oublier les pays producteurs en grande souffrance comme le Venezuela et la Russie. Les conditions étaient donc réunies pour une concertation entre producteurs. Le marché a intégré ce signal, et réagit positivement même à l’échec de cette réunion, car il est bien évident que la tenue même de cette réunion indique que la guerre des prix a été un échec. Cet échec était attendu, du reste. Au moins sur le plan opératoire, car il eut fallu pour être efficace et agir sur les prix que cette réunion se conclue par des engagements chiffrés de gel de la production, des engagements contraignants avec des sanctions pour le non-respect de ceux-ci. Les experts les plus sérieux doutaient d’une telle issue. C’est donc un premier pas. Attendons de voir la dynamique au sein de l’OPEC avec sa prochaine réunion prévue en juin et l’évolution aussi de la production saoudienne qui est de 10.1 Mbj, ce qui est important et pèse sur le marché. De surcroît, l’Arabie Saoudite est le seul pays en mesure d’accroître encore sa production de manière significative. Jusqu’où ira-t-elle ? Peut-elle supporter encore longtemps cette importante baisse de ses recettes, alors que les équilibres politiques dans ce pays sont particulièrement instables.

Quel poids l’Algérie a eu dans cette réunion?

Le pouvoir d’influence de l’Algérie est limité par le fait même du niveau de ses réserves et de ses production, tourne autour de 1% du total dans le monde. L’Algérie reste néanmoins un important acteur pétrolier qui a joué un rôle décisif dans l’histoire militante des pays producteurs. Notre pays doit surtout prendre conscience qu’aujourd’hui la bataille autour des prix pétroliers s’est déplacée autour d’une compétition autour des performances, de l’influence, de la puissance des acteurs pétroliers, soit les compagnies pétrolières. Elle riche d’une expérience et d’une expertise reconnue dans l’industrie pétrolière et gazière avec la Sonatrach. Il convient pour notre pays d’opérer un renversement de perspective stratégique et nous investir dans la reconfiguration en cours de la scène énergétique internationale dont la crise pétrolière actuelle n’est qu’une parmi les manifestations. Il faut donner à Sonatrach l’envergure nécessaire pour qu’elle s’engage dans les batailles qui modèleront le paysage énergétique futur qui sera plus contrasté, plus complexe, plus compétitif surtout. Cette crise passera, et nous avons les moyens de la passer. Il nous faut nous préparer à l’après crise.

Et comment l’avenir sera fait après cet échec ?

Cette réunion n’était pas si déterminante, de mon point de vue. Je l’avais déjà dit lors de la rencontre des experts avec le gouvernement en septembre, le marché tend à s’équilibrer en 2016. Au second semestre, l’excédent de production par rapport à la demande devrait baisser à 200 000 bj. La production des pays NOPEC s’est réduite à 56.8 Mbj. En mars, la baisse  a été de 180 000 barils jours par rapport à février. Elle est et de 690 000 barils jours sur l’année. Les pays NOPEC voir leur production baisser de 710 000 barils jours en 2016. Les Etats-Unis sont les plus affectés avec une baisse de près de 500 000 barils attendue en 2016. Le nombre des puits en activité y a baissé de 1600 à 500. Donc le marché est en train de s’équilibrer. Je pense qu’au quatrième trimestre les prix seront entre 50 et 60 dollars le baril. Ainsi donc, comme je le disais plus haut, cette crise ne durera pas longtemps. Le retour vers le pétrole OPEC est inéluctable. La demande connaîtra une accélération d’ici la fin de la décennie, alors que l’offre pour la satisfaire sera insuffisante du fait du fort ralentissement des investissements occasionné par cette crise. Considérons donc pour répondre à ta question que cette année 2016 sera encore pénible avec un prix moyen du baril qui ne dépassera pas les 50 dollars le baril. Il faut garder notre sang froid et diversifier notre économie pour relancer notre croissance. L’embargo pétrolier a été une bénédiction pour l’Iran qui en a profité pour diversifier son économie et sortir de la dépendance aux hydrocarbures. Pourquoi cette crise, qui est passagère, je le souligne, n’aurait-elle pas le même effet sur nous.

La guerre économique et idéologique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite va-t-elle encore plonger le prix du baril de pétrole ?

Je ne le pense pas. Je pense que les prix ont atteint en janvier un plancher difficile à dépasser sans mettre en péril toute l’industrie pétrolière. Il reste que les relations conflictuelles entre ces deux pays ont été à l’origine de l’échec de la réunion du 17 avril, du moins à première vue. En effet, je ne pense pas que l’Iran soit en mesure d’incrémenter le marché de 1 Mbj comme il le prétend. L’état des installations iraniennes, à l’arrêt depuis dix ans ne me semble pas le permettre. Tout au plus, ce pays est en mesure d’augmenter sa production de 300 000 à 400 000 barils jours. Il aurait pu être intégré dans un consensus pour le gel de la production tel qu’envisagé par cette réunion. Je crois que les rivalités de leadership régional ont lourdement pesé, ce que la Russie n’a pas compris, ni admis. Il y a réellement une fissure dans le consensus, et cette fissure pèsera sur les prix, quand bien même les opérateurs savent que le marché tend à s’équilibrer en 2016 et reprendra un sentier haussier en 2017. L’Arabie Saoudite semble vivre une crise existentielle car la révolution des schistes nous a propulsé dans l’ère post Yalta où les Etats-Unis sont désormais indépendants sur le plan pétrolier de l’Arabie Saoudite. Ce qui fait remonter à la surface, comme on l’a vu, toutes les suspicions et les rancœurs de ce pays à son égard. La formation d’un axe Washington – Téhéran n’est plus de l’ordre de l’impossible. Les tensions géopolitiques dans le Moyen Orient pourraient en être exacerbées, amplifiant en conséquence les convulsions naturelles du marché pétrolier.

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