Assassinat d’Ali Boumendjel : Sa famille dénonce le mensonge de l’Etat français
DIA-23 janvier 2021: Quelques jours après la publication du rapport de l’historien Banjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », la famille de l’avocat et militant politique Ali Boumendjel est revenue sur son assassinat et a dénoncé « un mensonge d’État français ».
Dans son rapport, Stora a formulé une liste de « préconisations » communes entre l’Algérie et la France afin de réconcilier les mémoires des deux rives de la Méditerranée, dont « la reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel, assassiné pendant « la Bataille d’Alger » de 1957 ».
Aujourd’hui, plus de 60 ans après cet horrible et honteux acte criminel de la France coloniale, la famille du valeureux Ali Boumendjel est revenue sur son assassinat et a dénoncé un « mensonge d’État ».
C’est sa nièce, Mme Fadela Boumendjel-Chitour, Professeur de médecine et militante des droits humains, qui a dénoncé un « mensonge de l’État (français) qui fut dévastateur », soulignant que « la veuve d’Ali Boumendjel, ses parents, sa fratrie et un de ses fils, sont morts sans que la vérité sur son assassinat ne soit révélée officiellement ».
En effet, l’assassinat d’Ali Boumendjel a été maquillé en suicide et ce jusqu’aux années 2000, quand le général parachutiste sanguinaire Paul Aussaresses avait fait ses aveux à ce sujet. « On nous a fait croire qu’il s’était jeté d’un immeuble à El Biar (les hauteurs d’Alger) », a-t-elle confié.
« Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas à quel point des familles entières ont été dévastées par les mensonges d’État », a affirmé Mme Boumendjel-Chitour rajoutant qu’ « elle aimerait que l’on reconnaisse que le colonialisme est une atteinte à la dignité humaine au même titre que la Shoah et l’esclavage ».
« La réhabilitation (d’Ali Boumendjel) est une approche de la vérité. C’est bien, à condition que l’on reconnaisse qu’il a été sauvagement torturé durant des semaines et que son assassinat a été masqué en suicide », a-t-elle affirmé en évoquant le rapport Stora.
Pour rappel, Boumendjel avocat réputé et ardent militant anticolonialiste, fut membre de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) créée en 1946 par Ferhat Abbas, le premier président du GPRA – gouvernement provisoire de la république algérienne. Il devient l’avocat des nationalistes, suivant les traces de son grand-frère Ahmed.
« C’était un érudit, un intellectuel qui adorait réciter les poèmes de Virgile, parler de peinture ou encore danser la valse », témoigne Fadela Boumendjel-Chitour. « Il était matheux et avait fait droit par défaut comme il se plaisait à le dire car à l’époque il était compliqué (pour un « indigène ») de pouvoir prétendre aux grandes écoles ». « Il était ouvert sur la culture universelle. Et en même temps un peu taciturne et très dans l’introspection », ajoute la présidente d’un réseau de défense des droits des femmes.
« Lorsque nous avons appris le 9 février 1957 son arrestation, mon père était alors avocat à Paris. Je me souviens à quel point la simple annonce de son arrestation a constitué un électrochoc pour mon père », raconte Mme Boumendjel-Chitour.
« Il avait réalisé qu’étant donné l’horrible répression de l’époque, tous les dangers planaient sur la tête de son jeune frère. Il n’a cessé d’alerter les autorités civiles, religieuses de France en envoyant des télégrammes pour dénoncer son arrestation arbitraire et l’absence d’information ». Il écrit au président du Conseil René Coty.
Fin février, la famille a su qu’il avait été hospitalisé à l’hôpital militaire Maillot à Bab El Oued. « Mon père a appris qu’il aurait tenté de se suicider avec le verre de ses lunettes. C’était glaçant ». « Je me souviendrai toujours du dimanche 23 mars, où j’entendis la voix de mon grand-père. Une voix blanche, une voix métamorphosée. Lui qui était très affectueux, me dit simplement: +S’il te plaît, passe-moi ton père+. Je me souviens de la réaction terrible de mon père qui était l’aîné et se sentait responsable ».
Deux médecins de la famille furent appelés pour reconnaître le corps. Les grands-parents eurent un chagrin énorme de ne pouvoir lui dire adieu. Son cercueil était scellé.
Ce qui a bouleversé sa famille, c’est que jusqu’aux aveux du général parachutiste Paul Aussaresses en 2000, la mort d’Ali Boumendjel a été maquillée en suicide. « On nous a fait croire qu’il s’était jeté d’un immeuble à El Biar. J’espère qu’il était déjà mort avant la chute. Il avait 38 ans ».
L’ami et professeur de droit d’Ali Boumendjel, René Capitant, juriste et homme politique, démissionna de la faculté de droit.
La famille a reçu de nombreuses lettres de condoléances, dont celles de Pierre Mendès-France et François Mauriac « qui s’excusèrent dès le lendemain au nom de la France ».