Comment le festival du film engagé d’Alger a résisté à sa disparition
DIA- 03 décembre 2022: Après deux années d’absence, en raison de la pandémie de Covid-19, la 11e édition du festival international du cinéma d’Alger (FICA) s’est ouverte vendredi soir. C’est d’ailleurs le seul festival qui a résisté à la crise qui a secoué la culture et les festivals de cinéma dans le pays durant ces cinq dernières années. A l’instar, du festival du film arabe d’Oran arrêté en 2018, du Festival méditerranéen de Annaba arrêté en 2019 ou du Festival du film du film amazigh de Tizi-Ouzou dont la dernière édition s’est déroulée en 2019, le festival du film international d’Alger a survécu et s’est maintenu malgré plusieurs obstacles financiers et surtout politiques. Lancé comme un festival du film « engagé » en 2009, la manifestation est la création de Zehira Yahi, ex chef de cabinet du temps de la ministre de la culture Khalida Toumi et ancienne directrice de la chaîne III et des relations extérieures de la radio nationale. Ce festival, Zehira Yahi l’a porté comme un engagement envers certaines causes qu’elle avait toujours défendu durant sa carrière à la radio francophone chaîne III. Zehira Yahi qui a toujours reconnu ne pas être une spécialiste du cinéma, a eu une carrière médiatique et culturelle bien remplie. Et pourtant elle a failli quitter définitivement l’Algérie en 1988. Après une dizaine d’année à la chaîne trois en tant qu’animatrice, elle décide de rentrer au pays pour occuper un poste à la radio à la demande de l’ex Premier ministre Sid Ahmed Ghozali. Elle dirigera la radio chaîne III durant une période cruciale du pays entre 1992 et 1994. Une période marquée par la recrudescence du terrorisme et l’assassinat des journalistes. Après son passage à la Trois, elle sera responsable les relex… durant quelques années. « Zhira », pour les intimes s’est installée durant plus de dix ans au cabinet de la ministre de la culture Khalida Toumi avec laquelle elle partage certains positions idéologiques et politiques. Du haut de son bureau situé au troisième étage du palais de la Culture, Yahi avait largement contribué au lancement de certains événements culturels et cinématographiques importants. Elle était très portée sur l’art et le cinéma alors que la ministre de la culture était porté sur le livre et la musique. Yahi était considérée comme la doublure de la ministre dans certains événements et contrairement à certains hauts fonctionnaires du ministère qui était très réservés, Zehira avait le courage de ses paroles et avait souvent assumé certaines décisions très importantes, notamment celles liée à la réponse de certaines polémiques. Pour de nombreux observateurs, Zehira Yahi était la sagesse du palais de la culture, celle qui était aux cotés des artistes et des cinéastes. On se souvient qu’elle passait des nuits entières aux cotés de la grande comédienne Keltoum durant les derniers jours de sa vie. Mais la force du commissaire du FICA demeure ses engagements politiques défendus durant plus d’une quarantaine d’années : La cause sahraouie, la cause palestinienne et surtout la question des non-alignées et de l’Afrique. A cela s’ajoute son « nationalisme » reconnu et confirmé et son engagement indéniable pour la révolution algérienne. C’est sans doute cette dernière facette de son parcours qui a contribué à sa survie sur le paysage politique et surtout culturel. Cet engagement lui vaut aussi, « la reconnaissance à vie » du département des affaires étrangères. Tous les MAE qui se sont succédés ont soutenus ce bout de femme aux cheveux gris et à la voix rock. On se souvient en 2017, quand le ministre des affaires étrangères Ramtane Lamamra était venu débraillé et sans protection, assisté à la cloture du FICA. Yahi de part son passage au département des relations extérieurs de la radio avait tissé de bonnes relations avec le réseau diplomatique des annassers.
Contrairement aux autres responsables de festival, la majorité ont été écarté en raison de leur choix politiques et parfois même de leur mauvaise gestion, Zehira Yahi a le mérite d’être une personne honnête et loyale. Même si son engagement pour ses amies Khalida Toumi, Louisa Hanoune et Zohra Drif en 2015 dans ce qui s’appelle le groupe des 19 qui ont demandé à rencontrer le président Bouteflika, a failli lui couter cher. Elle avait retiré sa signature de ce pacte pour manifester son rejet de la récupération politique. Ce geste lui a valu, une reconnaissance aux prés de certains hauts responsables, même si on connait ses liens étroits avec certaines personnalités du groupe. Pour lancer son festival engagé, Yahi s’est appuyée dans ce projet sur Ahmed Bedjaoui, l’ex directeur de production à l’ONCIC et de la télévision publique et surtout célèbre pour son émission Ciné-Club diffusé sur l’ex RTA. La présence de Bedjaoui, a donné de la crédibilité au festival en raison de la place qu’occupe Bedjaoui dans le paysage cinématographique international. En raison du caractère politique de ce festival, qui défend certaines causes de l’Etat algérien, les autorités algériennes ont décidé de maintenir cette manifestation. Après le départ de Khalida Toumi du palais de la Culture, Zehira Yahi a subi le retour de la manivelle et s’est battue pour maintenir son festival en vie, malgré le retrait du soutien conséquent de sa tutelle. Tous les ministres de la culture qui se sont succédés ont donné leur accord pour la poursuite de l’aventure du FICA, même si certains ont réduits les budgets accordés à la manifestation, pour essayer de réduire la force du festival. Ainsi le festival a vu son budget descendre à 3 millions de DA au moment certains festivals bénéficiaient de plusieurs milliards. Mais c’était sans compter sur la détermination et l’engagement du duo Yahi-Bedjaoui. A cela s’ajoute, leur soutien technique et logistique du distributeur Md Ciné de Malek Ali Yahia, qui apporté son lot de film et de stars. C’est notamment lui qui est derrière la venue d’Oliver Stone en 2011. Pour manifester son engagement pour l’Algérie, Zehira Yahi ne s’associe qu’avec les entreprises publiques comme Air Algérie, l’Etusa ou encore certaines entreprises du ministère comme l’ONDA, l’OREF et l’ONCI. D’ailleurs, c’est par engagement politique pour ses idéaux anticoloniaux, que la commissaire du FICA n’a jamais associé à son évènement le service culturel de l’Ambassade de France. Mais malgré ses 11 ans d’existence, le festival engagé, de Zehira Yahi transformé entre temps, en Festival international du Cinéma d’Alger (FICA) n’a pas eu sa part de renommée mondiale. Faute stars de cinéma, en l’absence de communication internationale et surtout le refus de couverture étrangère, a fait que le festival est resté une manifestation « étatique » locale. A Cannes, Berlin ou même le Caire, le FICA demeure un rendez-vous cinématographique algérien ignoré. Et pourtant le FICA aurait pu mettre le paquet pour la venue de Javier Bardem, la star internationale pour la projection de son documentaire lors du Festival « La dernière colonie ». Le FICA aurait pu convaincre Bouchareb pour faire la promotion du festival à l’étranger et ramener plus des stars américaines. Même ratage pour la venue de la star hollywoodienne Forest Whitaker, avec d’autres stars à l’image de Luis Guzman et Dolores Heredia pour l’avant-première de Ennemy Way à Alger. L’avant première du film s’est faite en dehors du festival du film engagé. Une absence de marketing culturel, dû à l’inexpérience du staff de com dans l’organisation d’une manifestation internationale, a fait que le festival tente seulement de survivre à sa mort. Le FICA demeure néanmoins grâce à la détermination de ses organisateurs le meilleur festival du pays en matière de fréquentation, de qualité du public et des débats, au moment où certains festivals comme le festival international maghrébin d’Alger a été tout bonnement sacrifié, profitant à nos voisins marocains, qui ont transformé le festival du court métrage d’Oujda en festival international de long métrage maghrébien.
Le moment le plus difficile fut lors de l’édition de 2014, quand Zehira Yahi qui avait subi un traitement trés lourd était apparue malade et fatigué mais a tenu à organiser son festival, malgré le retrait du financement de la ministre de tutelle de l’époque, pour son engagement politique. Plus de 13 ans après le lancement du festival du film engagé, le rendez-vous est maintenu grâce au courage et la determination d’une femme…… engagée: Zehira Yahi.
Salim Bey