Essais nucléaires en Algérie : Stora n’a pas accordé d’importance aux conséquences sanitaires, selon un Observatoire français
DIA-10 février 2021: Le directeur de l’Observatoire des armements en France, Patrice Bouveret, a regretté, dans un entretien accordé à l’APS, que l’historien Benjamin Stora n’ait pas accordé une « grande importance » aux conséquences sanitaires sur les populations de Reggane et de Tamanrasset, victimes des essais nucléaires effectués par la France en Algérie.
« Nous regrettons que la place consacrée aux conséquences des 17 essais nucléaires, réalisés par la France pendant la guerre d’Algérie et les cinq premières années de l’indépendance, ne soient pas plus importante. Benjamin Stora n’aborde que la question des déchets laissés par la France sur place, sans souligner l’importance des conséquences sanitaires pour les populations du Sahara », a déploré M. Bouveret.
Il a estimé que ces conséquences sanitaires « ne peuvent pas être considérées comme un problème dont la gestion reviendrait uniquement au service de santé algérien, mais l’inquiétude vient surtout dans la mise en œuvre des nombreuses recommandations du rapport ».
Les essais nucléaires criminels, menés par la France coloniale du 13 février au 1er mai 1966 à Reggane (Adrar) et In Ecker (Tamanrasset), continuent de faire des ravages parmi les populations de la région, causant des pathologies jusque-là méconnues, aujourd’hui perceptibles aussi bien sur la santé humaine que l’environnement, la faune et la flore.
Le cofondateur et directeur de l’Observatoire des armements a rappelé que des propositions pour le règlement des conséquences des essais nucléaires ont été annoncées à deux reprises au moins, en 2008 et en 2012, par les responsables politiques des deux pays, « sans qu’elles soient suivies d’une mise en œuvre concrète », relevant que la mission confiée par le président Emmanuel Macron à l’historien Benjamin Stora « brassait un spectre très large couvrant toute la période de la colonisation et la guerre d’Algérie ».
Le co-auteur, avec Jean-Marie Collin, de « Sous le sable, la radioactivité! Déchets des essais nucléaires français en Algérie », a également noté, en enchainant sur l’absence d’indemnisation des victimes algériennes de ces essais nucléaires, que cette question « ne concerne pas seulement les victimes en Algérie, mais bien l’ensemble des personnes affectées ».
Il a fait savoir qu' »en dix ans d’existence de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Loi Morin), seulement 363 personnes ont pu en bénéficier », qualifiant cela de « ridicule au regard des conséquences subies par l’ensemble des populations et des personnels, suite aux 210 essais réalisés par la France entre 1960 et 1996 en Algérie et en Polynésie ».
Citant les dernières données publiées par le Comité chargé d’examiner les dossiers (Civen, Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires), il a révélé « qu’une seule indemnisation a été accordée à une personne habitant en Algérie, contre 63 indemnisations à des personnes résidant en Polynésie et 299 à des membres du personnel civil ou militaire ».
Il a indiqué que « plusieurs raisons expliquent cette situation anormale », faisant observer que « si le gouvernement français a adopté une loi d’indemnisation, c’est avant tout le résultat des actions menées durant de nombreuses années par les populations, les personnels militaires et civils des essais nucléaires avec le soutien des associations, tout particulièrement de l’Observatoire des armements, de l’Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) et de l’association +Moruroa e nous+, regroupant les anciens travailleurs polynésiens ».
A cela s’ajoutent des « actions menées au niveau des médias, des parlementaires y compris devant la Justice », a-t-il dit, estimant qu’en Algérie « la constitution d’associations de victimes a été plus tardive et rencontre encore beaucoup de difficultés pour se faire entendre ».
Soulignant que la loi Morin pose le principe de réparation du préjudice subi pour toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant des essais nucléaires, M. Bouveret a noté que « les démarches pour bénéficier de cette la loi ne sont pas des plus simples, notamment pour les populations vivant dans la zone des essais ».
« Outre que tout se passe en français dans un pays où la langue officielle est l’arabe, il faut rassembler nombre de pièces administratives et pouvoir se déplacer si besoin en France. Il faudrait, par exemple, que la France, en concertation avec l’Algérie, dépêche des équipes socio-médicales sur place pour aider à la constitution des dossiers. Nous en sommes loin », a-t-il encore regretté.
Il a ajouté que la loi Morin « pose le principe de réparation du préjudice subi pour toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant des essais nucléaires », relevant que « le problème réside dans son application qui repose, pour une large part, sur de simples décrets pris par le gouvernement ».
M. Bouveret a expliqué que parmi « les mesures rapides qui pourraient être prises concernant particulièrement les populations en Algérie, c’est, d’une part, élargir les zones où les personnes doivent avoir séjourné et, d’autre part, compléter la liste des maladies ouvrant droit à l’indemnisation ».
En outre, il a estimé que la loi pourrait être modifiée « au niveau de la prise en compte des conséquences génétiques et de leur transmission pour les générations suivantes », rappelant que depuis son adoption en 2010, « la loi Morin a déjà été modifiée à plusieurs reprises afin de permettre sa mise en œuvre effective ».
Le secret-défense toujours en vigueur pour les archives des essais nucléaires
Pour ce qui est des opérations de décontamination des sites du Sahara (Reggane et Tamanrasset), M. Bouveret a relevé que cela nécessite « obligatoirement un accord entre les deux gouvernements et une volonté politique ».
Au sujet du refus de la France de fournir à l’Algérie les archives et la documentation liées à ces essais nucléaires, il a précisé que « la principale raison dépasse le cadre des relations parfois tumultueuses entre les deux pays et se trouve dans cette culture du secret particulièrement bien ancrée dans la tradition française, tout particulièrement concernant le domaine militaire ».
« La difficulté d’accès aux archives se pose pour l’ensemble des chercheurs, journalistes ou citoyens, quelque soit leur nationalité « , a déploré M. Bouveret.
« En 2008, alors que nous arrivions au terme où ces archives allaient rentrer dans le domaine public, une loi a été adoptée créant une catégorie spéciale pour les archives concernant le nucléaire, les rendant ainsi non communicables sans autorisation spécifique ».
En somme, les abominables essais nucléaires français en Algérie n’ont pas livré tous leurs secrets, alors que les conséquences de ces crimes contre l’humanité font toujours des ravages parmi les populations sans oublier la radioactivité nucléaire sur l’environnement.