Farid Bentoumi à DIA: « Je voulais raconter une histoire positive sur l’immigration »
DIA-15 avril 2016-20h10: Depuis quelques semaines le film « Good Luck Algeria », réalisé par Farid Bentoumi fait un tabac dans les salles obscures françaises, il vient de dépasser le cap des 100 000 entrées, pour une première comédie c’est un succès. Car il faut le dire, c’est le premier long métrage de Farid Bentoumi, qui a réalisé jusque là deux excellents courts métrage: « Brûleurs » l’unique court métrage algérien sur les Harragas et « Un métier bien » son dernier court métrage sur la montée de l’islamisme en France. Entretien avec un cinéaste au talent certain et à la vision réaliste et sincère.
DIA: Tu as choisi de réaliser ton premier long métrage sur une histoire familiale, c’était une nécessité ou un hommage ?
Farid Bentoumi: Je voulais raconter une histoire positive sur l’immigration, pour répondre aux débats en France et ailleurs, toujours plus virulents et injustes envers les immigrés. Mais le film parle aussi et surtout du lien père-fils, et de mes parents, qui vivent entre mes deux pays, la France et l’Algérie. C’était important pour moi de parler avec sincérité de la situation des bi-nationaux, dont on parle rarement.
Tu as fait un film sur un sport d’hiver, mais beaucoup d’algériens qui apprécient ton travail ont préféré que tu fasse un film sur le football, le sport le plus populaire en Algérie. Ton avis?
J’aime le football, mais je me suis inspiré de l’aventure de mon frère, qui a fait les Jeux Olympiques d’hiver sous la bannière de l’Algérie à Turin en 2006 car son aventure symbolisait vraiment la trajectoire que je voulais raconter : un franco-algérien qui habite en France et se lance dans un défi qui va le rapprocher de ses racines. Et puis, le décalage, l’humour, étaient essentiel. Je voulais que l’on éprouve une grande empathie pour Samir, mon héros, qu’on ait envie de le suivre jusqu’au bout, quoi qu’il fasse. Et puis, l’histoire d’un homme qui fait les JO en ski pour l’Algérie a un potentiel comique très fort qu’il fallait traiter, même si, je sais, il y a eu des stations de ski en Algérie, avant la décennie noire.
En tant que cinéaste algérien, pourquoi n’avoir pas associé l’Algérie à la production de ton film, comme le font si bien beaucoup de réalisateurs algériens installés en France, comme Bouchareb, Allouache, Moknache ou encore Zemmouri?
J’ai écrit pendant quatre ans, pour éviter les clichés et trouver les dialogues justes. Et aussi parce que le film fait se croiser plusieurs histoires. Mais le financement du film s’est fait en quelques mois, à l’été 2014. A l’époque, la ministre de la culture venait d’être nommé et on nous a dit que les commissions d’aide au cinéma en Algérie étaient suspendues pour un temps. Nous n’avons pas pu attendre. Le film ne bénéficie donc pas de financements algériens. Après nous avons quand même tourné deux jours à Alger, avec Une Chambre à Soi production. Je voulais tourner toutes le scènes en Algérie, mais trois semaines avant qu’on demande les autorisations, un Français s’est fait assassiner dans les Aurès. On nous a alors interdit d’aller tourner en dehors d’Alger, surtout pour les scènes de nuit… Nous avons donc tourné les scènes dans Alger sur place, mais les autres scènes ont été tournées au Maroc. Cela a été très dur pour moi, car du coup, les enfants ne parlaient pas arabe, on n’avait pas l’ambiance algérienne des femmes qui chantent dans les champs ou blaguent dans la cuisine, des hommes qui discutent au milieu des oliviers pendant la récolte… Et surtout, j’aurais aimé faire travailler des équipes techniques et des comédiens algériens.
Le film connait un grand succès en France et ailleurs, penses-tu le présenter en Algérie?
Oui, j’espère vraiment qu’il va sortir en salles en Algérie. C’est actuellement en discussion, notamment d’un point de vue technique. En attendant, j’espère qu’il sera présent dans les différents festivals de cinéma algériens.
Tu as choisi de donner le rôle principal à une star française d’origine maghrébine alors que le héros est algérien? C’était un choix ou exigence de la production, où tu n’a pas trouvé de comédien algérien qui serais à la hauteur du rôle?
J’ai écrit le rôle principal en pensant déjà à Sami Bouajila, qui est un excellent comédien, le meilleur de sa génération sans doute, car il est capable de jouer la comédie, l’émotion, avec finesse, et un très grand professionnalisme. J’avais vu tous ses films, notamment Omar m’a tué et Indigènes, et je l’ai toujours trouvé très juste. Il a apporté énormément au rôle, et c’était un grand plaisir de le diriger.
Aujourd’hui les cinéastes d’origine maghrébines sont ghettoisé dans des comédies et ne peuvent pas toucher à des sujets sérieux comme la discrimination, la mal vie des maghrébins, ou encore plus récemment la montée de l’ismlamisme?
Je crois qu’on peut toucher à des sujets très sérieux à travers la comédie, ou l’humour en tout cas. Il y a beaucoup de films en « Un » dans Good luck Algeria: un film sur l’entreprise, un film sur la famille et les racines, un film de sport… C’est un peu une comédie, mais on a aussi beaucoup d’émotions… C’est un film entre la France et l’Algérie, mais l’histoire familiale au cœur du film, cette histoire de transmission, est universelle. Mélanger sujet sérieux et humour, c’est aussi ce que j’ai fait dans mon court-métrage Un Métier Bien, sur la montée de l’islamisme dans une certaine jeunesse française. J’ai d’ailleurs été très fier que le film ait été montré en ouverture des Journées Cinématographiques d’Alger.
Penses-tu que les cinéastes français d’origine maghrébine sont plus libre dans le court métrage que dans le long métrage?
Tous les cinéastes sont plus libres dans le court-métrage que dans le long-métrage, notamment pour des raisons de difficultés de financement.
Tu est plus pour le cinéma d’auteur ou le cinéma commercial ?
Good Luck Algeria est entre les deux, du scénario au casting, du financement à la distribution. J’ai vraiment fait un film d’auteur, sincère, personnel, mais en pensant au public, en espérant qu’un large public voit le film. J’ai d’ailleurs du me battre pour ne jamais entrer dans une case.
Ton court métrage, Un métier bien, décrit une communauté maghrébine islamisée, penses tu que les films sur cette communauté vont être plus stigmatisés et dur après les attentats de Paris et de Bruxelles?
En France comme ailleurs, on assiste à un repli identitaire, un repli vers les extrêmes. C’est toujours ce qu’il se passe dans les moments de crise sociale. Je crois qu’il faut que les gouvernements européens s’attaquent aux problèmes sociaux avant tout, et que les politiques et les médias arrêtent de stigmatiser les immigrés. Il n’y a pas de choc de cultures. Il y a un choc social. Mon travail de cinéaste est en partie politique car j’essaye de sortir des visions clichés sur les immigrés, de positiver les choses, de trouver des solutions et d’ouvrir des horizons, de rétablir le dialogue.
Quel message adresse tu aux jeunes cinéastes algériens aujourd’hui?
Il y a une jeune génération de cinéastes en Algérie qui est prête techniquement et artistiquement a faire renaître le cinéma algérien dans toute son originalité et toute sa force. Il faut leur en donner les moyens financiers et techniques car la beauté du pays, l’humour et le caractère de son peuple, la force de son Histoire peuvent inspirer de grandes histoires, de grands films. Et que le cinéma est l’ambassadeur d’un pays dans le monde.
Interview réalisée par Salim AGGAR