Le président Tebboune propose un travail de mémoire sur toute la colonisation française
DIA-10 juillet 2022: Le président Abdelmadjid Tebboune a proposé un «travail de mémoire» commun sur toute la période de la colonisation française en Algérie, lors d’une rencontre avec l’historien français Benjamin Stora, a raconté ce dernier à l’AFP. L’entretien était d’autant plus inédit que le rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis en janvier 2021 à Emmanuel Macron, avait été fraîchement accueilli en Algérie.
L’historien, qui était porteur d’une lettre du président français, a été reçu plus d’une heure lundi à Alger par le président Tebboune, à la veille de la commémoration en grande pompe du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. «C’est la première fois qu’il y avait une discussion au fond» côté algérien sur ces questions mémorielles depuis la publication du rapport, a souligné Benjamin Stora.
Le rapport, sur lequel Emmanuel Macron s’est appuyé pour sa politique mémorielle, ne préconise ni excuses ni repentance, ce qui a été très critiqué en Algérie, notamment par les associations d’anciens combattants.
Les relations franco-algériennes ont aussi connu un gros coup de froid lorsque en septembre 2021, le président Macron a reproché au système «politico-militaire» algérien d’entretenir une «rente mémorielle» autour de la guerre d’indépendance.
«Conquête meurtrière»
L’entretien témoigne du réchauffement en cours dans les relations franco-algériennes depuis quelques semaines. «Je pense qu’il y a une volonté, de relancer je ne sais pas si c’est le mot, mais de poursuivre un dialogue», estime Benjamin Stora, en notant un «changement de ton» entre Paris et Alger.
Mellah hocine
Décembre 1948, alors âgé de 22 ans, Hocine Aït Ahmed, président de l’Organisation Secrète et membre du bureau politique du PPA, expose un rapport aux membres du comité central élargi, à Zeddine, sur les problèmes stratégiques et tactiques pour le déclenchement de la Révolution. Dans son rapport, riche en références et très dense, Hocine Aït Ahmed «pense» la Révolution dans tous ses aspects : politique, militaire, financier et diplomatique. C’est le document référence qui a tracé la voie du combat libérateur du peuple algérien.
En voici quelques extraits.
Colonie de peuplement, d’exploitation, de prestige par excellence, terre française, la France ne le lâchera pas sans épuiser tous les atouts formidables dont elle dispose. . Par conséquent, c’est bel et bien face à l’une des plus grandes puissances du monde que nous aurons à arracher notre indépendance. Le rapport des forces en présence est effrayant par la supériorité écrasante du colonialisme dans tous les domaines sauf dans le domaine moral. Notre atout est donc un atout moral au sens de l’esprit de résistance, de foi patriotique, d’abnégation et de détermination qui doivent animer tous les Algériens et chaque Algérien.
La lutte de Libération ne sera pas un soulèvement en masse. L’idée de soulèvement en masse, est en effet courante. L’homme de la rue pense que le peuple algérien peut facilement détruire le colonialisme grâce à sa supériorité numérique : 10 contre 1. Il suffira de généraliser à l’Algérie entière un soulèvement populaire. Au lieu de libérer la pensée des masses de cette fraction simpliste, de ce rapport mystificateur, les militants du parti semblent céder à son pouvoir. C’est beau d’être optimiste, mais penser qu’il n’ y a plus de problèmes oui d’équation, c’est de l’inconscience.
La lutte de Libération ne sera pas le terrorisme généralisé
De nombreux dirigeants préconisent le terrorisme, c’est-à-dire la liquidation physique des agents colonialistes les plus nocifs, commissaires de la PR07, «auxiliaires indigènes». Certains prêchent l’assassinat d’adversaires politiques. En somme, le combat libérateur se résumerait à faire disparaître les méchants et les traîtres, sans se soucier du système et des forces sociales qui les sécrètent. (…) Se faire justice soi-même fait partie des réflexes des Maghrébins, mais ne participe nullement d’une réflexion sur les conditions et les forces qui doivent conduire au succès l’entreprise de libération.
En termes politiques, ce sera une provocation qui nous mettra en face d’une machine de guerre contre laquelle il nous faudrait tout le souffle de la nation et toutes les ressources techniques et tactiques dont nous pouvons disposer. La forme de lutte individuelle conduit à nous mettre en position de moindre efficacité et de moindre résistance. Le peuple essoufflé et l’organisation réduite au départ par les foudres de la répression. Nous devons rejeter sans ambages l’action terroriste comme vecteur principal du combat libérateur..
Les massacres de Mai 1945 son encore un témoignage tout chaud du sang des 45 000 morts ; le colonialisme ne lésine pas. (…)
La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent «se mesurer à l’aune de la politique». La conduite de ce combat est « la politique elle-même» ; «la lutte armée devient politique à son niveau le plus élevé». L’essentiel donc, pour nous, est de ne pas mener une politique erronée. La seule politique juste est la politique révolutionnaire.
L’OS doit devenir rapidement l’instrument capable de mettre en place le dispositif minimum d’une Guerre de Libération. (…) L’OS est une organisation d’élite, avec des effectifs forcément restreints à cause de son caractère ultraclandestin. Elle doit en premier lieu former les cadres du combat libérateur. Ce travail de formation a pour but d’élever le niveau technique et tactique de ce combat. Sur le plan technique, étude théorique et pratique du maniement des arme modernes et des explosifs, aspects principaux du combat individuel. Sur le plan tactique, nous avons choisi, dans les ouvrages récents traitant de la guérilla, de la guerre des partisans, des «commandos», des leçons s’adaptant le mieux aux données de notre pays et qui sont d’un niveau accessible à nos militants.
l’Algérie c’est notre pays. Le peuple algérien connaît ses moindres recoins. Il fait corps avec le relief. La guerre des partisans, avec ses fonctions de commandos dans les villes, ses actions de sabotage généralisées, nous permettra de tirer le maximum de ces atouts, c’est-à-dire de durer et d’atteindre les objectifs de la défense stratégique. Le troisième atout est d’intégrer la guerre populaire dans les contextes internationaux qui susciteront le plus de sympathies et d’appuis stratégiques possibles. Le contexte des peuples coloniaux en particulier et des pays révolutionnaires en général qui luttent contre les différents types d’impérialisme.
Refuser à la révolution les hommes et les moyens, c’est refuser la révolution. La politique de la révolution doit, au préalable, se débarrasser des œillères tissées par les luttes de clocher et d’église, les innombrables tâches quotidiennes, activités municipales, édition et diffusion de la presse. Elle doit garder une vision permanente des vrais problèmes et s’attacher à les solutionner vaille que vaille. (…)
Hocine Aït Ahmed a vécu avec intensité cette préparation au soulèvement. Il est intarissable sur ce bouillonnement qui s’est emparé des masses rurales et de leur disponibilité.En 2008, son appréciation des faits est plus distanciée, mais elle n’est pas polémique. Au contraire, elle ne manque pas de lucidité ni d’objectivité sur l’échec d’une insurrection générale contre le colonialisme français.
En conclusion , que serait l’histoire de la Révolution algérienne sans cette part d’expérience vécue par ses acteurs, sans la part que leur mémoire a retenu ? Mémoire et histoire demeurent bien deux possibilités intimement liées pour rendre compte du passé, même si elles n’obéissent pas aux mêmes logiques. Il appartient aux historiens de faire l’analyse critique de ces entretiens où Hocine Aït Ahmed s’est prêté avec franchise au jeu de nos questions.