L'écrivain Mohamed Balhi : "Ferial Furon veut revisiter le passé de Bouaziz Bengana à sa manière" - DIA
15945
post-template-default,single,single-post,postid-15945,single-format-standard,qode-listing-1.0.1,qode-news-1.0,ajax_fade,page_not_loaded,,qode_grid_1400,footer_responsive_adv,hide_top_bar_on_mobile_header,qode-content-sidebar-responsive,transparent_content,qode-theme-ver-12.0.1,qode-theme-bridge,bridge,wpb-js-composer js-comp-ver-4.12.1,vc_responsive

L’écrivain Mohamed Balhi : « Ferial Furon veut revisiter le passé de Bouaziz Bengana à sa manière »

DIA-24 février 2017: La polémique suscitée par la publication et surtout la promotion en Algérie du livre de Feriel Furon sur le Bachagha Bouaziz Bengana, n’a pas fait réagir beaucoup historiens. Seul l’écrivain, sociologue et journaliste Mohamed Balhi a réagi sur les réseaux sociaux et dans la presse pour dénoncer les contre-vérités historiques de la démarche de la petite fille de Bachagha. Mohamed Balhi est bien placé pour en parler, puisqu’il a écrit deux livres qui reviennent justement sur cette période coloniale inconnue du grand public:  « Biskra, Miroir du désert », édité à l’ANEP en 2011, et surtout « Zaatcha 1849, l’insurrection des Ziban » édité à l’ANEP en novembre 2015. Il nous livre son point de vue d’historien sur Bouaziz Bengana et apporte quelques faits historiques avérés sur le personnage.  

DIA: Ferial Furon a provoqué une polémique en Algérie avec la parution et surtout la promotion de son ancêtre le Bachagha Bouaziz  Bengana. Dans une interview elle rejette cette polémique sous prétexte que personne n’a lu le livre, pensez-vous que c’est justifié ?

Mohamed Balhi: Ferial Furon n’a pas tort de dire qu’il faut d’abord lire son livre avant de le juger. On est d’accord là-dessus, c’est une question de déontologie. Seulement voilà, elle n’a pas cessé entre-temps de faire des déclarations aux médias et lors de ventes-dédicace offrant ainsi au public et aux historiens une sorte de livre ouvert qui pousse au débat, à la polémique puis à l’indignation. Ferial Furon semble reprendre un conte de fées. On est dans l’image d’Epinal. Dire que Bouaziz Bengana était adoré par les populations, c’est insensé et inconcevable.

Elle dit que Bouaziz Bengana avait un prestige et une aura. La carrément, elle réhabilite son arrière- grand-père, certes adulé par l’Administration coloniale, mais surtout haï par les tribus et les militants qui le combattaient.

DIA: Elle a affirmé que son grand-père est mort en 1945, et qu’il n’a pas participé à des exactions. Les bachagha sont-ils exemptés de toute dénonciation historique ?    

M.B: Bengana a vu son pouvoir lui échapper des mains, au début de la Seconde Guerre mondiale, quand l’Administration ne l’a pas aidé à faire face aux protestations des communistes, à leur tête le Biskri Maurice Laban. Alors que la population crevait de faim, le bachagha faisait de la spéculation en stockant le blé destiné aux indigènes. Menant leur combat jusqu’au bout, Maurice Laban, Azzouzi Débabèche et bien d’autres ont fini par affaiblir et ulcérer le tout puissant féodal, fidèle allié de la France. N’oublions pas ce que Bengana a fait endurer au militant Chebbah Mekki qui était à la fois membre du parti communiste et membre de l’Association des Oulémas musulmans. Pour mieux s’imprégner de cet épisode je vous recommande de lire l’ouvrage de Jean-Luc Einaudi consacré à Maurice Laban.

Le bachagha était tellement puissant qu’il levait plusieurs sortes d’impôts: « ghramet el qdem », l’impôt de la marche; «  ghramet ennakhil » , l’impôt des palmiers ; «  ghramet el maouachi », l’impôt du cheptel. Riches ou pauvres devaient s’acquitter de cette dîme, engrangée dans son Dar el Makhzen.

DIA- Mme Furon défie même les historiens en déclarant : « Je suis prête à débattre avec les historiens. Mais il faut qu’ils lisent le livre et qu’ils puissent me dire : « vous avez écrit ceci à telle page, c’est une contre-vérité». Comment expliquez justement le silence de certains historiens sur cette affaire ? 

M.B: Ferial Furon revisite le passé á sa manière, pour elle avant la colonisation il y avait  « une guerre des tribus » qui a pris fin depuis que la France a pacifié le pays et s’est s’attelée à construire un Etat.

Opposée au départ aux troupes coloniales françaises, du fait que le bey Ahmed de Constantine était le fils d’une Bengana, cette famille féodale n’a pas hésité ensuite à faire allégeance aux généraux français qui combattaient l’émir Abdelkader.

Ayant évincé les Bouakaz et placé un des leurs, auréolé du titre honorifique de cheikh el arab, les Bengana perpétueront une tradition de fidélité à la colonisation qui fut féroce et à laquelle ils prêteront main forte lors de l’insurrection de Zaatcha en 1849,  et de la révolte d’El Amri en 1875.

Le nombre d’exactions commis par le clan Bengana, par caïds interposés, est incalculable.  Après le décès de Bouaziz Bengana dans l’affaire du blé stocké, en plein éveil indépendantiste,  Hamma son fils ainé, sera approché au milieu des années 1950  par le colonel Si Haouès, dans la zaouia Othmania de Tolga, pour l’emmener à soutenir le FLN. Personnage affable, Hamma avait des liens d’amitié avec le maire libéral d’Alger Jacques Chevalier. Hamma, remplaçant son père comme bachagha,  était intéressé par les affaires, notamment dans la promotion immobilière. 

DIA- Il n’existe pas beaucoup de livres sur les personnalités historiques algériennes d’avant 1945 et nos historiens sont obligés de se référer à des livres écrits sur la base de témoignages de colons ou des membres des familles, qui prennent la peine de dresser des portraits positives de leur ancêtres. Comment rétablir la vérité historique ?

M.B: Pour ce qui est du silence de certains historiens, je ne suis pas du tout surpris. Les historiens algériens qui ont quitté le pays après 1990 et qui se sont installés en France gèrent plutôt leur carrière,  loin des tumultes de la vie. Ils se sont spécialisés,  pour ne pas offusquer l’establishment français, dans des thématiques lointaines relatives à l’Islam médiéval, aux tabous alimentaires dans l’Islam, etc. Ils le font par duplicité et aussi, à leur corps défendant,  par dépit étant donné qu’ils sont quelque part empêchés d’aborder des questions d’actualité et d’évoquer les sujets qui fâchent comme la colonisation. La meilleure façon de répondre à ce révisionnisme qui commence à faire tâche d’huile, c’est d’évoquer par des livres et des films des pans entiers de notre mémoire collective. Il est aussi de notre droit de nous indigner et de barrer la route, de manière intelligente, à ce lobby néocolonial constitué de prétendus « esprits libres » qui clament que parler du passé et de la colonisation, c’est ringard et vieux  jeu. Je dis oui à la liberté d’expression, non aux forfaitures et aux félonies.

Entretien réalisé par Salim AGGAR 

Envoyer un commentaire

0Shares