Coup d'État en Birmanie : l'armée renverse Aung San Suu Kyi et complique l'avenir des Rohingyas - DIA
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Coup d’État en Birmanie : l’armée renverse Aung San Suu Kyi et complique l’avenir des Rohingyas

L’armée Birmane a fait tombé, Aung San Suu Kyi, «La dame de Rangoon» et ennemi Rohingyas ce lundi 1er février au petit matin, à Naypidaw, la capitale bâtie dans la jungle par la junte, selon un porte-parole de son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD), qui avait remporté un nouveau triomphe électoral aux dernières élections législatives de novembre, contestées par les militaires.

Plusieurs autres dirigeants, dont le président Win Myint, sont également sous les verrous, dans le cadre d’une opération coordonnée à travers le pays de 54 millions d’âmes, menée quelques heures à peine avant la réunion du nouveau Parlement, qui devait marquer le début du second mandat  à la tête du pays, sous le titre de «conseiller d’État».

Quelques heures plus tard, le couperet tombait, et la télévision Myawaddy news, contrôlée par l’armée, annonçait la promulgation d’«un état d’urgence d’un an» offrant les plein pouvoirs au général Min Aung Hlaing, le redouté chef de Tatmadaw, comme on surnomme l’armée Birmane. Une mesure d’urgence justifiée par des millions «d’irrégularités de vote» a asséné la junte, qui détient désormais tous les leviers clé dans un pays coupé du monde par la pandémie de Covid.

Un processus d’ouverture en péril
La veille, l’armée avait juré qu’elle respecterait la Constitution, alors que les États-Unis, l’Europe et le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avaient exprimé leurs inquiétudes devant les menaces répétées de coup d’État agitées par son chef, ces derniers jours. Sur le papier, la promulgation de l’état d’urgence est juridiquement autorisée par ce texte écrit à sa main par la junte en 2008, qui garantissait déjà aux militaires une mainmise sur trois ministères clé, ainsi que 25% des sièges du Parlement. Mais, en pratique, l’arrestation de «The Lady», héroïne de la cause démocratique, sonne comme un coup d’arrêt brutal au processus d’ouverture du pays tenu d’une main de fer depuis 1962 par la junte militaire, mais qui avait lâché la bride sous la pression internationale en 2011, tolérant les premières élections libres en 2015.

Depuis des mois, les militaires et plusieurs formations dénonçaient de façon répétée des irrégularités dans le scrutin du 8 novembre, tenue en pleine épidémie de Covid. Les élections «n’ont pas été libres, ni justes», avait assuré la semaine dernière lors d’une conférence de presse le porte-parole de l’armée, le major général Zaw Min Tun. Le vote avait conduit à une nouvelle débâcle populaire pour la junte, dont le parti USDP, n’a remporté que 33 sièges des 476 sièges en jeu, et un raz-de-marée électorale pour la NLD, qui a raflé 83% du compte.

Acculée dans les urnes, Tatmadaw, a brutalement sifflé la fin de la récréation démocratique en vigueur depuis cinq ans, à l’orée du second mandat d’Aung San Suu Kyi, qu’elle abordait renforcée par sa victoire. «Les militaires ont toléré un mandat pour Suu Kyi et jugent que désormais c’en est trop. Après son nouveau triomphe électoral, ils ne peuvent supporter la perspective de cinq années de plus, alors ils effacent les accords du passé», analyse Khin Zaw Win, ancien prisonnier politique, et directeur du Tampadipa Institute, à Yangon.

Ce coup de force a été aussitôt dénoncé par la nouvelle administration américaine de Joe Biden, s’insurgeant contre toute «tentative d’altérer les résultats des élections». «Les États-Unis se tiennent aux côtés du peuple Birman et de son aspiration à la démocratie, la liberté, la paix et le développement. Les militaires doivent reculer immédiatement» a déclaré le nouveau Secrétaire d’État, Antony Blinken, exigeant la libération des chefs de file de la NLD.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a quant à lui «fermement» condamné le putsch. Avec «la déclaration du transfert de tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires aux militaires», «ces développements portent un coup dur aux réformes démocratiques en Birmanie», a-t-il ajouté. Plusieurs délégations de l’Union européenne ont exhorté la Birmanie à «adhérer aux normes démocratiques». L’Inde, proche voisine, a «observé avec une profonde inquiétude» ces événements. «Nous pensons que l’état de droit et le processus démocratique doivent être respectés», a réagi le ministère indien des Affaires étrangères dans un communiqué.

Plein pouvoir au général sortant
Cette reprise en main scande un nouvel épisode brutal dans le bras de fer politique sans merci qui oppose la junte et la fille du général Aung, héros de l’indépendance face aux Britanniques, assassiné en 1947, avec pour enjeu la gouvernance d’un pays à majorité bouddhiste, aux multiples ethnies, stratégiquement localisé entre Inde et Chine. Une nouvelle fois, la dirigeante obstinée est jetée derrière les barreaux par les militaires, après avoir déjà passé près de 15 ans en détention, défiant la mainmise autoritaire de Tatmadaw lorsqu’elle était cheffe de file de l’opposition. Désormais, l’icône de la démocratie, a perdu de sa superbe auprès de l’Occident, qui a dénoncé son silence face au drame des Rohingyas, et certains de ses compagnons de route, pointant son autoritarisme.

Ce «coup» offre les pleins pouvoirs à son adversaire le plus coriace, le madré général Min Aung Hlaing, qui était poussé vers la sortie et devait prendre sa retraite dans les prochains mois. En franchissant le Rubicon, le militaire qui a orchestré la répression implacable contre les populations musulmanes Rohingyas dans l’État Rakhine impose un coup de barre autoritaire à l’un des rares pays d’Asie du Sud-Est qui s’était démocratisé ces dernières années. Au risque de déclencher une nouvelle épreuve de force avec une population jeune, en quête de développement économique, et qui vénère toujours la «dame de Rangoun». «Il est difficile de prévoir les réactions des partisans de Suu Kyi. On ne sait encore pas s’il y aura des manifestations d’envergure», juge Wang Zichang, spécialiste à l’Université Jinan, à Canton.

La plus grande ville du pays était calme, ce lundi matin, selon les témoignages des rares étrangers présents sur place. Ce virage menace également le pays d’un isolement international accru, sous le regard des grandes puissances voisines, dont la Chine, à l’affût des ressources du pays, et de sa position stratégique, offrant une fenêtre sur l’Océan Indien. «La junte va gouverner sans partage pour cinq ans. Tant pis pour le Myanmar !», ajoute, amer, Khin Zaw Win, qui avait pris ses distances avec la dirigeante de 75 ans. Dans une lettre diffusée sur les réseaux sociaux, Aung San Suu Kyi a exhorté la population birmane à «ne pas accepter» ce putsch militaire.

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