Une agence de désinformation israélienne derrière l'affaire M'barki de BFMTV - DIA
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Une agence de désinformation israélienne derrière l’affaire M’barki de BFMTV

DIA-15 février 2023: Une enquête de la cellule investigation de Radio France, avec le consortium Forbidden stories, dévoile que BFMTV a diffusé des informations fournies par une agence de désinformation israélienne dirigée par des anciens de l’armée et des services secrets.

Depuis un mois, l’expérimenté journaliste de BFMTV, Rachid M’Barki, en est venu à diffuser à l’antenne des informations biaisées et orientées. Oligarques russes, Qatar, Soudan, Cameroun, Sahara « marocain », ces brèves (un texte d’une quarantaine de secondes sur fond d’images illustratives) fournies clés en main pour le compte de clients étrangers, sont passées à l’antenne sans validation de la rédaction en chef et au mépris de la ligne éditoriale de BFMTV.

Interrogé par sa direction qui a ouvert une enquête interne, Rachid M’Barki, 54 ans, présent à l’antenne depuis la création de BFMTV en 2005, a reconnu des opérations « d’entrisme » et confessé une éventuelle « erreur de jugement journalistique » qui l’aurait conduit à « rendre service à un ami ». Il a été suspendu le 11 janvier 2023 par le directeur de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel. Ce dernier a alors expliqué au personnel qu’il avait dû prendre cette décision après avoir été alerté sur l’existence de possibles informations biaisées diffusées à l’antenne.

La personne qui l’a alerté, c’est un journaliste, Frédéric Métézeau, qui travaille alors pour la cellule investigation de Radio France dans le cadre d’une vaste enquête baptisée « Story Killers », coordonnée par le consortium Forbidden Stories. Pendant plus de six mois, elle a réuni cent journalistes travaillant pour 30 médias internationaux. Comme c’est le cas avant toute publication, Frédéric Métézeau fait part à Marc-Olivier Fogiel de nos découvertes afin de recueillir sa réaction. Ce dernier convoque alors Rachid M’Barki. « Il m’explique que des brèves lui sont proposées par un intermédiaire et que cela relève de son libre arbitre éditorial, raconte le directeur de la chaîne. C’est suffisamment problématique pour que nous lancions un audit interne pour comprendre comment ces brèves arrivent à l’antenne, comment elles sont illustrées, et par quels biais la hiérarchie a été contournée. »

Le point de départ de cette affaire ne se trouve pourtant pas dans l’hexagone, mais en Israël. Là-bas, pendant plusieurs mois, Frédéric Métézeau avec Gur Megiddo (journaliste d’investigation au journal israélien The Marker), et Omer Benjakob (journaliste d’investigation au journal israélien Haaretz), ont infiltré une structure spécialisée dans l’influence, la manipulation électorale et la désinformation.

Cette société n’a aucune existence légale. Pour la trouver, il faut se rendre dans la zone d’activités de Modiin, entre Jérusalem et Tel Aviv. Ses bureaux sont fonctionnels mais discrets. « Vous voyez sur la porte ? Il n’y a rien. Nous ne sommes rien », plaisante celui qui nous accueille. C’est pourtant là qu’opère une équipe que nous appellerons « Team Jorge ». Car « Jorge », c’est le surnom que se donne son principal responsable. Les employés se présentent comme d’anciens officiers de l’armée ou des services de renseignements israéliens, des experts en information financière, en questions militaires, en guerre psychologique, ou en médias sociaux.

Au cœur de son activité : la désinformation en ligne. Team Jorge développe depuis six ans une plateforme numérique d’une efficacité redoutable baptisée Aims pour « Advanced Impact Media Solutions« , qui signifie « solutions avancées pour un impact médiatique ». Un acronyme qui veut aussi dire en anglais : « objectifs à atteindre ». Ce logiciel permet de fabriquer des faux profils et de les activer sur les plus grands réseaux sociaux.

Ce logiciel produit des avatars : des gens qui n’existent pas, mais qui disposent d’une apparence réelle sur internet et de centres d’intérêts crédibles. Ces faux profils publient leurs soi-disant opinions dans l’espoir d’influencer le plus de « twittos » possibles. Début janvier 2023, le système exploitait 39 213 faux profils différents, consultables dans une sorte de catalogue. On y trouve des avatars de toutes ethnies et nationalités, de tous genres, célibataires ou en couple… Leurs visages sont des portraits de vraies personnes piochées sur internet, et leurs patronymes, la combinaison de milliers de noms et de prénoms stockés dans une base de données.

Quoi qu’il en soit, et preuves à l’appui, Team Jorge affirme qu’il peut aussi « recruter » des journalistes au sein de grands médias étrangers. Dans ce cas-là, une publication peut être facturée 20 000 euros au client, dont 3 000 seraient reversés en espèces au journaliste en bout de chaîne. Lors de cette enquête réalisée par Forbidden stories, les responsables de la société israélienne montrent une vidéo du 19 septembre 2022 dans laquelle on voit Rachid M’Barki, le journaliste de BFMTV, faire part, images à l’appui, des difficultés que connait l’industrie du yachting à Monaco après la mise en place des sanctions contre les oligarques russes. Une fois diffusé, cet extrait a été isolé et diffusé massivement sur Twitter par la plateforme Aims, afin de le rendre viral.

Forbidden Stories a pu identifier qui se cachait derrière le mystérieux Jorge, le maître d’œuvre de ces opérations. Il se fait aussi appeler « Michael », « Joyce Gamble » ou « Coral Jaime ». Il dispose de plusieurs adresses email et de numéros de téléphones dans différents pays. Mais il se nomme en réalité Tal Hanan. Il est à la tête de deux sociétés opérant dans la sécurité et le renseignement : Sol Energy et Denoman. Sur le site internet de cette dernière, il est décrit comme un spécialiste des explosifs ayant servi dans les forces spéciales de l’armée israélienne et comme ancien officier de liaison de Tsahal, l’armée de défense d’Israël, auprès du commandement des forces spéciales de la sixième flotte des États-Unis. Selon sa biographie, il aurait aussi « commandé des opérations de protection des cadres à haut risque au Mexique, en Colombie et au Venezuela, et dirigé des programmes de formation en matière de lutte contre le terrorisme… pour le gouvernement américain ». Titulaire d’un diplôme en relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem, il est présenté comme « un conférencier très recherché qui a fait des exposés devant le Congrès américain, de nombreux gouvernements étrangers et des sociétés internationales ». On le retrouve interviewé dans plusieurs médias en lignes et dans de grands journaux comme le Washington Post en 2006.

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